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MO Ï SE D E KHO R È N E
répandîmes des flots de sang, et la plate-forme
du palais, inondée des rayons du soleil, se trans–
forma en un mur de sang. Puis, recourant a
d'autres armes, nouscombattîmes encore des heu–
res entières.
«
Mais à quoi bon prolonger ce récit, puisque
la fin de tout était ma ruine? L'impression du dan–
ger me couvrit d'une sueur violente, le sommeil
s'enfuit loin de moi, et depuis ce jour je ne compte
plus parmi les vivants. Car le résultat d'un tel
songe n'a d'autre signification que la terrible in–
vasion que Tigrane, le descendant d'Haïg, doit
faire chez nous. Mais quel est l'homme qui, avec
le secours de nos dieux, nous venant en aide par
ses conseils et ses actes, ne croirait pas partager
le trône avec nous ? »
Ayant ouï beaucoup d'avis utiles de la part de
ses con
fi
dents,lc roi leshonorade ses rcmeroiments.
CHAPITRE XXV I I .
Opinions îles conseillers cTAstyage ; ses réflexions
et ses desseins ; leur exécution immédiate.
«
Après avoir entendu de vos bouches bien
des avis sages et ingénieux, ô mes amis, je dirai ce
qui, en fait de conseils et de réflexions, me pa–
rait à moi préférable, si les dieux daignent m'as-
sister. II n'y a rien de plus utile contre un ennemi,
quand on connaît ses desseins, que la présence
d'une personne qui, avec l'apparence de l'amitié,
lui tende des embûches. Ce n'est ni avec des tré–
sors, ni avec des paroles trompeuses, que
nous
pouvons réussir, mais c'est en agissant ainsi que
je le veux. L'instrument de mes desseins, l'agent
de cette trame est la sœur de Tigrane, la belle et
prudente Dikranouhi ; car de tels liens de parenté
à l'étranger lui donnent toute facilité d'ourdir
en secret de sourdes menées, en allant et en
venant; ou bien à l'improviste, à force d'argent
et de promesses pour engager quelqu'un des fa–
miliers de Tigrane à le poignarder ou à l'empoi–
sonner ; ou pour séduire avec de l'or, détacher
de lui ses partisans et les gouverneurs des pro–
vinces. C'est ainsi que nous nous saisirons de Ti –
grane comme d'un faible enfant. »
Les confidents du roi, regardant le projet
comme efficace, en machinèrent l'exécution. As–
tyage envoie un de ses conseillers à Tigrane avec
de riches trésors et une lettre ainsi conçue :
CHAPITRE XXVI I I .
Lettre d Astyage, —* Dispositionsfavorables
Tigrane. —Départ de Dikranouhipour la Médie.
«
Mon frère bien-aimé le sait : rien ne nous
fut donné par les dieux de plus utile dans cette
vie qu'un grand nombre d'amis, c'est-à-dire d'a–
mis sages et puissants; car ainsi les troubles du
dehors ne nons atteignent pas, et, s'ils parviennent
chez nous, aussitôt on les repousse; au dedans,
la perfidie ne peut trouver accès, et toute per–
turbation est étouffée. Or, en voyant tous les
avantages qui résultent de l'amitié, j'ai songé à
rendre la nôtre pins stable et plus profonde.
Ainsi, fortifiés de tous les côtés, nons maintien–
drons notre empire ferme et inébranlable. Et
cela, tu peux le faire, en m'accordant la fille
de la Grande Arménie, ta sœur Dikranouhi, pour
épouse. J'espère que tu considéreras cette union
comme avantageuse pour ta sœur, qui deviendra
la reine des reines. Porte-toi bien, mon compa–
gnon royal et mon frère bien-aimé. »
Sans prolonger ce récit, je dirai : L'envoyé
aecourt et accomplit la négociation an sujet de la
belle princesse ; car Tigrane consentit à donner
sa sœur Dikranouhi pour épouse à Astyage. Igno–
rant complètement les ruses ourdies par ce der–
nier, Tigrane envoie sa sœur, comme c'était la
coutume des rois. Ayant reçu la princesse, As–
tyage, non-seulement pour le succès des ruses qu'il
médite en son cœur, mais encore à cause de la
beauté de Dikranouhi, l'élève au premier rang
de ses femmes, mais en lui-même il mûrît ses
perfides projets.
CHAPITRE XX I X .
Commentfut découverte la perfidie d'Astyage et
comment fut livrée la bataille dans laquelle il
succomba.
Après cet événement, dit [l'historien], Astyage,
ayant élevé Dikranouhi à la royauté, ne faisait
rien dans le royaume sans sa volonté ; il réglait tout
avec elle, et ordonnait à tous ses sujets d'être
soumis à ses ordres. Ayant ainsi disposé toutes
choses, il commença doucement à loi insinuer ces
perfides paroles : « Tu ne sais pas, dit-il, que ton
frère Tigrane, excité par sa femme Zarouhi, est
jaloux de te voir commander aux Arik ? Qu'en
adviendra-t-41? D'abord je devrai mourir, et en–
suite Zarouhi régnera sur les Arik, et occupera
la place des déesses. Donc, il faut que tu choi–
sisses l'un de ces deux partis : ou, par amour
pour ton frère, d'accepter sous les yeux des Arik
Fonds A.R.A.M