HISTOIRE D'ARMÉNIE.
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armés de pieux manier-le glaive et la lance, les
gens autrefois sans armes, couverts de boucliers
et d'armures de fer. La vue des soldats rassem–
blés, le feu, l'éclat resplendissant de leurs armures
èt de leurs armes, suffisaient pour dérouter l'en–
nemi. Tigrane inaugure la paix, multiplie les édi–
fices et féconde tout le pays avec des ruisseaux
d'huile et de miel.
Tels sont, avec beaucoup d'autres encore, les
bienfaits dont gratifia notre patrie Tigrane fils
d'Erouant, prince à la blonde chevelure bou–
clée , au visage coloré, au regard doux, puis–
samment membre, large des épaules, à la mar–
che rapide, le pied bien tourné, sobre toujours
dans le boire et le manger, et réglé dans ses plai–
sirs. Nos ancêtres le célébraient au son du pam-
pi rn, en chantant sa prudence, sa modération
dans les plaisirs de la chair, sa sagesse, son élo–
quence , et son désir d'être utile à l'humanité.
Quel plus grand plaisir pour moi, que de pro–
longer ces sujets louangeux pour lui , et qui sont
la vérité de l'histoire ! Toujours .équitable dans
ses jugements, sa balance, égale pour tous, pe–
sait sans partialité la conduite de chacun. I l n'é–
tait point jaloux des grands, il ne méprisait pas
les petits; il n'avait d'autre volonté que d'éten–
dre sur tous le manteau de sa sollicitude. [Tigrane],
depuis longtemps déjà, lié par des traités avec
Astyage ( Aschtahag), roi des Mèdes, lui donne
en mariage sa sœur Dikranouhi, qu'Astyage re–
cherchait avec empressement; car celui-ci se di–
sait : « Par cette alliance, j'aurai pour Tigrane
une constante affection, ou je lui tendrai facile–
ment des embûches pour le faire périr. » En ef–
fet , pour lui , Tigrane était un sujet de crainte,
car une prophétie indépendante de sa volonté lui
avait annoncé l'événement que voici s
CHAPITRE XXV .
Crainte
et soupçons
aV
Astyage, en apprenant l'é–
troite amitié de Cyrus et de Tigrane.
La cause première de ses craintes était l'al–
liance et l'amitié qui unissaient Cyrus et Tigrane.
Souvent aussi, le sommeil fuyait loin d'Astyage
lorsqu'il rappelait ses souvenirs. I l faisait sans
cesse à ce sujet des questions à ses confidents :
m
Comment pourrons-nous, disait-il, rompre les
liens d'amitié entre le Perse et le descendant
d'Haïg, fort de tant de myriades d'hommes? »
Pendant qu'il est agité par ces pensées, une vision
lui apparaît, qui lui révèle sa situation et qu'il
raconte ainsi :
CHAPITRE XXV I .
Comment Astyage, la haine au cœur, voit sa des–
tinée présente dans un songe merveilleux.
«
Un grand danger, dit-il, menaçait le Mède
Astyage, par le fait de l'union de Cyrus et de
Tigrane. C'est pourquoi, de l'effervescence de ses
pensées, lui apparaît dans le sommeil de la nuit
un songe, où il vit ce qu'étant éveillé il n'a j a –
mais vu ni entendu. I l se réveille en sursaut, et,
sans attendre le cérémonial us i té, l'heure du
conseil, car il restait encore bien des heures de la
nuit, il appelle ses confidents. Le visage triste,
les yeux fixés à terre, il gémit du plus profond
de son cœur et soupire. Pourquoi cette douleur ?
demandent les confidents. E l lui reste plusieurs
heures sans répondre ; enfin, poussant des gémis-
se*nents, il commence à dévoiler tontes ses se–
crètes pensées, les soupçons de son cœur et aussi
les détails de l'horrible vision :
«
I l advint, 6 mes amis, dit-il, que je me trou–
vais aujourd'hui sur une terre inconnue, près
d'une haute montagne dont la cime paraissait
enveloppée de glaces et de frimas. On disait que
c'était le pays des descendants d'Haïg. Mon re–
gard plongeait au loin vers la montagne, lors–
qu'une femme revêtue de la pourpre, enveloppée
d'un voile bleu céleste, m'apparut assise au plus
haut de la cime. Ses yeux étaient beaux, sa sta–
ture était élevée, son teint était de rose; elle
était dans les douleurs de l'enfantement. Comme
j'avais le regard tenduvers ce spectacle étonnant,
cette femme mit au monde tout à coup trois hé–
ros accomplis pour la taille et pour la force. Le
premier, monté sur un lion, prit son vol vers
l'occident; le second, sur un léopard, s'élança
vers le nord ; le troisième, sur un énorme dragon,
se précipita avec fureur sur notre empire.
«
Au milieu de ces visions confuses, il me sem–
blait que, debout sur la terrasse de mon palais,
j'en voyais la frise ornée de magnifiques tentures,
et la plate-forme couverte de tapis émaillés de
diverses couleurs. Nos dieux, à qui je suis rede–
vable de la couronne, étaient là présents dans
tout l'éclat de leur majesté, et moi avec vous,
leur offrant des sacrifices et de l'encens. Tout à
coup, levant les yeux, je vis le héros, monté sur
le dragon, prendre son vol avec des ailes d'aigle,
en fondant sur nous ; il croyait venir exterminer
nos dieux ; mais moi, Astyage, me précipitant à
sa rencontre, je soutins ce choc formidable et je
combattis ce merveilleux héros. D'abord nous
nous frappâmes l'un l'autre de la lance et nous
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