MOÏSE DE KHORÈNE.
qu'anciennement, comme de nos jours, les Armé–
niens dédaignaient la science et les chants tradi–
tionnels ( i ) ; c'est pourquoi il est superflu de s'ar–
rêter plus longtemps sur ces gens vulgaires,
ignorants et grossiers.
Mais j'admire la belle conception de ton intelli–
gence; tu es le seul, depuis l'origine de nos gé–
nérations jusqu'à aujourd'hui, qui aies songé à
entreprendre une si grande chose, à nousproposer
de coordonner dans un long et utile travail l'his–
toire de notre nation, de retracer avec vérité les
actions des rois, des races et des maisons satra-
pales, leur origine, les hauts faits de chacun; de
dire quelles sont les races indigènes, les races
étrangères qui acquirent chez nous les droits de na–
turalisation ; finalement d'inscrire chaque époque,
depuis le temps de la construction insensée de
la Tour [de Babel] jusqu'à ce jour; précieux tra–
vail entrepris pour ta gloire et ta satisfaction,
sans labeur pénible.
A cela, je dirai seulement : « Un livre sera-t-il
près de moi, » comme s'exprime Job
(2)
;
ou bien
la littérature de tes ancêtres me venant en aide,
comme les historiens hébreux, descendra-1-elle
d'en haut pour arriver jusqu'à toi sans erreur? ou
mieux encore, commençera-t-elle par toi pour
remonter jusqu'à l'origine des au 1res?Mais quelle
que soit la fatigue, je commencerai, pourvu qu'il
se trouve seulement quelqu'un qui me soit recon–
naissant de mon travail. Je commencerai donc,
comme l'ont fait les autres historiens, selon le
Christ et selon l'Église, considérant comme chose
superflue de répéter les fables des auteurs profanes
touchant les origines; ne reprenant que quelques
faits des temps postérieurs, [ne citant] que certains
personnages auxquels se réfèrent les divines Écri–
tures , jusqu'à ce qu'enfin nous arrivions forcé–
ment aux récits des païens, dont nous n'extrairons
que ce qui nous paraîtra certain.
CHAPITRE IV.
Comment les autres historiens diffèrent entre eux
touchant Adam et les autres patriarches.
En ce
qui
concerne
la racine du genre humain,
ou si l'on aime mieux, la cime, il convenait de
dire en peu de mots comment les autres historiens
s^éloignent
de l'Esprit-Saint et ne s'accordent pas
entre eux; je veux dire Bérose (Piouros), le Po-
lyhistor (Pazmaveb) et Abydène
(3),
au sujet du
(1)
Cf. Collect. des hist. d'Arm., p. 25, note 2.
(2)
Job, XXXVII, 20.
(3)
Cf. Thomas Ardzrouni,
Hist. des Ardzrouni
(
en
constructeur de l'arche et des autres patriarches,
non-seulement pour les noms et les époques, mais
aussi parce qu'ils n'assignent pas au genre humain
la même origine que nous. Ainsi, à l'égard [d'A–
dam], Abydène et les autres historiens s'expriment
ainsi
(1)
: «
Dieu, dans sa providence pour tous,
le fit pasteur et guide de son peuple ; » puis il
dit : « Alorus régna dix sares, » qui font trente-
six mille ans. De même à l'égard de Noé, auquel
I
ils donnent un autre nom
(2)
et [attribuent] des
temps infinis, quoique, pour le débordement des
eaux et la corruption de la terre, ils s'accordent
avec les paroles de l'Esprit-Saint
(3
j.
Us nomment
également dix patriarches, en comprenant Xisu-
thros (Khsisouthros)
(4).
Ainsi, non-seulement
d'après la révolution du soleil et la division de
notre année en quatre saisons, leurs années sont
de beaucoup différentes des nôtres et surtout des
années divines, mais de plus, ils ne calculent pas
d'après les nouvelles lunes, comme les Égyptiens.
Quant aux périodes qu'ils disent tirer leur nom
des divinités, — si quelqu'un les considère
comme
des années, — ils ne les comparent pas avec notre
calcul, mais tantôt ils les augmentent et tantôt
ils les diminuent
(5).
C'est donc un devoir pour
nous d'exposer ici leurs opinions, et d'écrire
pourquoi ils ont pensé de la sorte ; mais, à cause
de la longueur de cet ouvrage, je réserve les dé–
tails pour un autre endroit et un autre temps, et
je termine en commençant par les choses dont
nous sommes certains.
Adam premier être créé. Celui-ci, ayant vécu
deux cent trente ans
(6),
engendra Se th. Seth,
ayant vécu deux cent cinq ans, engendra Enos.
Celui-ci dressa deux colonnes en vue de deux
événements futurs, comme ledit Josèphe
(7),
mais
je ne sais pas où. Enos est le premier qui eut l'es–
pérance d'appeler Dieu.
Pourquoi donc dit-on qu'Enos fut le premier
qui ait appelé Dieu, ou que signifie le mot
appeler?
Car Adam est vraiment la créature de Dieu, de
la bouche de qui il est dit avoir reçu l'ordre ; mais,
1852),
qui cite également Bérose et Abydène, à propos
de l'histoire des premiers âges du monde.
(1)
Eusèbe,
Chron.,
I , p. 46-47 (éd. Aucher). — Le
Syncelle, p. 30.
(2)
Xisuthros. —Cf. Eusèbe,
Chron.,
I , p. 40.
(3)
Alexandre Polyhistor; cf. Eusèbe,
Chron
,
p. 38.
(4)
Eusèbe,
Chron»,
I , p. 28-29.
(5)
Cf. Eusèbe,
Chron.,
t. I , p. 26-28, et note 1,
page 28.
(6)
Trois manuscrits donnent la variante : « deux cents
trente-sept ans. »
(7)
Josèphe,
Antiq. judaïques,
liv. I , ch. 2. —Var
tan,
Hist. univ.
(
en arm., Venise, 1862), p. 37.
Fonds A.R.A.M