VIE DE SA
A partir dumoment de la mort de saint Nersès,
la guerre et les divisions intestines ne cessèfent
point dans le pays d'Arménie. Après la mort du
roi Bab, le général Mouschegh rénnit l'armée ar–
ménienne et faisait de fréquentes incursions dans
le pays des Perses-. Les prisonniers qu'il faisait
avaient la peau arrachée, et on la remplissait
d'herbe, en disant : « Soyez immolés à [la mé–
moire] d'Arsace et de mon père Vasag. » Il par–
courait le pays, détruisait les pyrées qui se trou–
vaient dans le pays d'Arménie et en Ibérie et il
restaurait les églises.
Après - ces événements, Théodose le Grand
éleva sur le trône d'Arménie, à la place de son
cousin (fils du frère de son père) Bab, Varaz-
tad (i). On calomnia Mouschegh devant le roi ,
en disant que c'était lui qui avait été cause de la
mort de Bab. Le roi Varaztad voulait faire
mourir Mouschegh, mais il ne pouvait y réussir,
à cause de la puissance de Mouschegh et par
crainte des princes d'Arménie. Cependant il in–
vita Mouschegh à un festin, et, lorsqu'il s'assit et
que les convives étaient enivrés par les fumées
du vin, vingt hommes qu'il avait cachés entrè–
rent tout à coup, saisirent Mouschegh par les deux
mains, pendant que le roi Varaztad lui perçait en
toute hâte le cœur avec sa lance. Mouschegh dit :
«
Dans quel but rais-tu cela ? » Varaztad répon–
dit : « Va demander à Bab pourquoi tu l'as livré
aux mains de ses meurtriers. » Mouschegh re–
prit : « Voici donc la récompense de mes ser–
vices, de mes fatigues, démon sang, de mes sueurs
que j'essuyais avec ma lance au lieu de me servir
d'une étoffe. Que Dieu soit béni ! mais pourquoi
n'ai-je pas trouvé la mort à cheval dans les com–
bats que j'ai livrés pour les chrétiens? » Sempad,
prince des Sahrouni
(2)
,
tirant son épée, l'en–
fonça dans la gorge de Mouschegh. On prit son
corps et on le porta dans le canton de Daron, et
on l'inhuma dans le couvent de Glag
(3).
Le roi
Varaztad nomma Sempad Sahrouni général à la
place de Mouschegh
(4).
Par un effet de la divine providence, le roi de
Perse renvoya dans leur patrie Manuel et Gon, fils
de Vasag le Mamigonien et frères du général
Mouschegh, que l'on avait assassiné. Ils avaient
été emmenés en captivité avec Arsace et avec
leur père Vasag le Mamigonien. Manuel, qui avait
une stature élevée, et son frère Gon, fils de Vasag,
(1)
Faustus de Byzance, 1. V, c. 34.
(2)
Faustus de Byzance l'appelle Pad et dit qu'il était
le père nourricier de Varaztad.
(3)
Faustus de Byzance, 1. y, c. 36.
(4)
Faustus de Byzance, I. V, c. 37.
*
T NERSÈS.
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vinrent dans leur canton de Daron et s'y fixèrent.
La bénédiction de saint Nersès s'accomplit en fa–
veur de la famille des Mamigoniens; Manuel et
Gon étendirent leur domination sur plusieurs
cantons; Manuel s'empara du commandement
de l'armée sur Sempad Sahrouni et se mit à la
place de son frère Mouschegh et de son père
Vasag.
Manuel adressa le message suivant à Varaztad :
«
Ma race a versé son sang pour la royauté des Ar-
sacides, pour les saintes églises et la foi ortho–
doxe; ainsi, mon aïeul Vatché pour Chosroès,
mon père Vasag pour Arsace, et mon frère Mous–
chegh pour Bab. Mais toi, au lieu de faire du bien
à la fidèle famille des Mamigoniens, tu lui as
causé beaucoup de maux : mon frère Mouschegh,
homme fort en Dieu et brave, que les ennemis ne
purent vaincre, tu l'as pris et massacré cruelle–
ment, sans 'aucun motif, comme un homme de
rien. Tu sais bien certainement que la race des
Mamigoniens n'a jamais été sous votre dépen–
dance, mais que
[
ses
membres étaient] vos com–
pagnons. Nos ancêtres les rois des
Djen
(1),
qui
sont nos aïeux, c'est-à-dire grands-parents,
étaient fils tous deux du roi des Djen. Ils prirent
la fuite, vinrent se fixer dans le pays d'Arménie,
et ils furent honorés par le roi comme des com -
pagnons. Le nom de l'aîné était Main, et celui du
second Gon, et de ces deux [noms, leurs descen–
dants] furent appelés Mamigon
(2)
.
Mais toi, Va–
raztad, tu n'es pas un Arsacide, mais un bâ–
tard (3). Quitte le pays d'Arménie si tu ne veux
pas périr de ma main pour laver le sang de mon
frère Mouschegh. » Varaztad envoya àManuel,
général d'Arménie et prince des Mamigoniens,
une réponse insolente, conçue en ces termes :
«
Ce que tu dis, que tu es le petit-fils [du roi] des
Djen, est vrai. Eh bien, retourne dans ton pays
de Djen, sinon tu mourras aussi de ma main
comme le perfide Mouschegh ton frère. » Lorsque
Manuel, général d'Arménie, eut pris connaissance
de la lettre du roi, il réunit l'armée de la Grande-
Arménie. Le roi Varaztad organisa de son côté
(1)
Le Djénastan ou la Chine, dont les Mamigoniens
se prétendaient être originaires.
(2)
Moïse de Khorène (
Hist. d'Arm.,
1.
II, c. 81) ne
parle que d'un [seul émigré Mamkoun; le fait n'est pas
bien important en lui-même ; cependant Siméon Abara-
netzi, dans son
Histoire rimée des Mamigoniens,
nous
apprend qu'en effet les émigrés du pays des Djen étaient
deux frères. I l a emprunté ce témoignage à Lazare de
Pharbe qui le tenait, dit-il, d'Agathange.
(3)
Varaztad était fils d'Anob, frère
d'Arschag
III, et
n'appartenait pas
à
la branche directe des Arsacides.
Fonds A.R.A.M