VIE DE SAINT NERSÈS.
la cause du massacre de l'armée arménienne par
le féroce Mouschegh! « Saint Nersès répondit au
roi : k Ne pense point cela, 6 roi! de la race
fidèle et loyale des Mamigoniens; au contraire
tu apprécieras aujourd'hui sa valeur. » Bab ré–
pliqua à saint Nersès : « Prie Dieu sans cesse, ô
saint patriarche! implore-le à haute voix. » Ce–
lui-ci, levant les mains, récita cette prière en
poussant de grands soupirs :
«
Seigneur, Dieu tout-puissant, écoute ma
prière pour que ton nom soit glorifié ; car, quoique
l'impiété règne dans le pays d'Arménie, tu as le
pouvoir cependant de punir les fautes en toute
occasion; mais en ce jour ne détourne point ta
face de nous, et épargne ton peuple que tu as
racheté par ton sang divin ( i )
»
Cependant [Nersès] adressait à Dieu ces prières
sur des rhythmes différents et, par ses soupirs, il
invoquait le secours de Dieu miséricordieux. Les
armées, s'étant attaquées de part et d'autre, se
frappèrent mutuellement avec acharnement,
comme les marteaux des forgerons et les coups
stridents des bûcherons. Lorsque cette grande
mêlée fut encore plus complète, l'armée armé–
nienne mit en déroute les troupes des Alains,
des Perses, des Ouz et des Massagètes. Mais,
quand saint Nersès abaissait les mains, les fuyards
s'arrêtaient et opposaient de nouveau de la résis–
tance aux Arméniens, et, lorsque le saint étendait
les mains, la troupe des infidèles se dispersait de–
vant l'armée arménienne. Après cela, les soldats
arméniens poursuivirent les fuyards et massacrè–
rent presque tous les infidèles.
Le roi des Perses, Sapor, descendant de sa
monture, changea de vêtements et échappa à la
mort en se cachant dans une caverne. Le général
desArméniens, Mouschegh, seigneur des Mamigo–
niens, ayant atteint Ournaïr, roi des Huns, le
frappa sur la tête avec la hampe de sa lance et
lui dit : « Me voici, je suis le rival que tu cher–
chais, mais félicite toi d'être roi , car je ne donne
point la mort aux têtes couronnées. Je suis Mous–
chegh le Mamigonien que tu recherchais en
combat singulier. » Ayant parlé de la sorte, il le
laissa continuer son chemin et ne le conduisit pas
près de Bab, afin que celui-ci ne le fit pas mourir.
Après ce combat terrible et meurtrier où elles
avaient remporté la victoire, les armées armé–
nienne et grecque rejoignirent le roi Bab et le
(1)
Il y a ici une longue prière qui ne renferme rien
d'historique et que nous n'avons pas cru devoir tra–
duire.
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patriarche Nersès avec un butin immense et de
grands témoignages d'allégresse ( i ) .
Dans, cette bataille, aucun soldat de l'armée
arménienne ne périt. Mouschegh le Mamigonien
raconta un fait merveilleux; c'est que, durant la
chaleur du combat, il y eut, [dit-il], entre les en–
nemis et nous une telle poussière et une telle
ombre causée par les flèches qui s'élevaient
au-dessus de nous dans l'air, de tels mugissements
des éléphants et un tel bruit de lances dans l'obs–
curité , que personne ne savait plus distinguer les
siens des ennemis. Alors le saint patriarche
marcha devant nous et nous montra de sa main
nos ennemis, sur lesquels nous fondîmes en leur
faisant mordre la poussière. Toute l'armée r a –
conta de la même manière cette vision, et tous se
prosternant aux pieds de saint Nersès, lui di–
saient : « La victoire est à toi! » On descendit
alors de la montagne, et on célébra le même
jour une grande fête.
Au même moment, quelques dénonciateurs se
présentèrent devant le roi Bab et lui dirent : « Le
général Mouschegh a saisi le roi des Alains, Our–
naïr, l'a fait prisonnier et ne l'a pas conduit vers
toi. I l ne lui a pas non plus ôté la vie , mais il
l'a laissé partir sain et sauf, comme [il l'a fait]
pour les femmes du roi Sapor. » En entendant
ces paroles, le roi Bab détourna son visage de
Mouschegh, le regardait d'un mauvais œil et
cherchait l'occasion de le faire mourir. Lorsque
Mouschegh se présenta devant le roi Bab, i l lui
dit : « Pourquoi détournes-tu de moi ton visage?
ai-je commis un acte de lâcheté? j'ai tué, de mes
égaux, un nombre que j'ignore ; mais lui, c'était
un roi, et, quoiqu'il soit infidèle , c'est à toi de le
tuer, car il est ton égal. Quant à moi, je ne por–
terai jamais la main sur lui, et il ne m'arrivera
pas de frapper un homme qu'on a sacré, tant que
je vivrai. Me voici actuellement en ta présence ;
tue-moi, si tu le veux, car je suis prêta recevoir
la mort de tes mains. » Le roi Bab embrassa Mous–
chegh étroitement et lui dit : « Ceux qui ont ca–
lomnié Mouschegh méritent la mort. » Le "roi
lui fit beaucoup de présents, et Mouschegh dit au
roi : « Désormais je répandrai mon sang pour
l'Arménie; mais toi, ô roi ! vois de tes yeux et en–
tends de tes oreilles, et ne t'en rapporte point
[
au témoignage] d'autrui. Distingue le bon du
mauvais, l'homme de mérite des gens sans valeur,
et le pays d'Arménie sera dans la bonne voie. »
Le roi écouta ces paroles et elles lui plurent
(2).
(()
Faustus de Byzance, 1. V, c.
4.
( 2 )
Cf. Faustus de Byzance 1. V, c.
4.
—
Faustus
3.
Fonds A.R.A.M