Le général des Arméniens, Mouschegh, s'en
alla de cet endroit et il opposait, à l'aide de l'ar–
mée armémienne, une vive résistance à toutes
les attaques (i). De son côté le grand Nersès vi–
sitait tout le pays d'Arménie et i l réunissait par–
tout les fruits de sa prédication
(2).
Son disciple
Mesrob, qui fut appelé Maschtotz
(3),
l'accompa–
gnait : il s'était adonné à toutes les pratiques des
choses spirituelles , se livrait à la mortification ,
ne-prenant aucun repos pendant la nuit, et em–
ployant le temps consacré au sommeil à veiller
debout. 11 mena cette existence pendant long–
temps
(4)*
XI I . Cependant le roi Bab se livrait à la dé–
bauche ; saint Nersès le réprimanda, mais il ne
l'écouta point. Saint Nersès détourna alors sa face
de lui, et le maudit comme il avait maudit son
père Arsace. Aussitôt les
dev
commencèrent à tour–
menter le roi, et ils se montraient à lui sous la
forme de serpents. Bab vint alors se jeter aux
pieds de saint Nersès et sollicita son pardon pour
qu'il vînt dans sa demeure. Lorsque le grand
Nersès entrait chez lui, le roi était soulagé et il
trouvait du repos; les
dev
ne se faisaient plus voir
à lui et fuyaient loin de lui ; mais, lorsque Nersès
sortait, le roi Bab était de nouveau tourmenté
par le feu de ses passions. Saint Nersès priait et
les
dev
fuyaient ; mais, quand le saint s'éloignait,
le roi retombait dans les mêmes tortures (5).
Alors saint Nersès lui interdit l'entrée de l'Église ;
mais le roi chercha une occasion favorable pour
tuer Nersès, sans oser toutefois accomplir son
projet par crainte des satrapes et du peuple qui
venaient chez le patriarche. En effet, les malades
trouvaient la guérison et devenaient les disciples
de Nersès, et une grande quantité de gens ne le
quittaient point. Saint Nersès guérit aussi, en fai–
sant avec la main le signe de la croix, le fléau
nouveau dont Dieu frappa la ville coupable
d'Arschagavan et qui est appelé peste jusqu'à au–
jourd'hui (6).
parle de deux batailles livrées entre les troupes armé–
niennes et celles des Perses. Notre auteur ne fait men–
tion que de la première affaire et ne dit rien du second
combat raconté par Faustus (1. Y, c. 5) et par Moïse
de Khorène
(
Hist. d'Ami.,
1.
III, c. 37) et qu'il appelle
la bataille de Tzirav, dans laquelle Sapor fut complète–
ment défait.
(1)
Faustus de Byzance, I. Y, c. 8-19.
—
Moïse de
Khorène, I. III, c. 35.
(2)
Faustus de Byzance, 1. Y, c. 21.
(3)
Yoir plus haut p. 9, note 2, col. 1.
(4)
Cf. plus haut, Gorioun,
Vie de Mesrob,\>.
11
etsuiv.
(5)
Faustus de Byzance, 1. Y, c. 22, 23.
(6)
Cf.
plus haut, p.
32.
Après cela, le roi Bab invita par trahison
le
grand Nersès à un festin, au village de Khakh,
dans le canton d'Égéghiatz
(1)
,
afin de le faire
mourir par le poison. Le roi lui dit perfidement :
«
Si tu manges avec moi, je me conduirai dès à
présent pour toujours selon ta volonté, et
je
fe–
rai ce que tu m'ordonneras.
Je
ferai pénitence
avec le cilice et la cendre selon ton désir. » Saint
Nersès, ignorant qu'il machinait sa perte, se rendit
avec lui au festin. Lorsqu'ils entrèrent dans la
salle, le roi le força à s'asseoir sur le trône royal,
mais Nersès n'y consentit pas, et ce ne fut qu'a–
près de vives insistances qu'il s'assit sur le siège
du roi. Le roi Bab se leva, se dépouilla de ses
vêtements, descendit de son siège, lui versa à
boire, et, jetant du poison dans la coupe, il la pré–
senta au saint. Lorsque Nersès eut bu, il remercia
[
Dieu] en disant : « Sois béni,
à
Dieu, de ce que
tu m'as jugé digne de boire la coupe du martyre,
et de subir pour toi cette mort que je désirais
depuis mon enfance. Cependant je n'ai pas cherché
la mort de mon gré ; car si on s'y jette sans né –
cessité, c'est de l'orgueil, et Celui qui récom–
pense n'accuse pas le présomptueux, car il est
condamné à fléchir comme Pierre. Quant à toi,
roi injuste ! on n'emploie le poison et l'astuce que
contre ceux dont on ne peut se saisir, tandis que
moi j'étais constamment avec toi. Qui donc re–
tenait ta main pour me tuer ouvertement? Sei–
gneur! pardonne-leur ce qu'ils ont fait envers
moi sans motif, et reçois l'âme de ton serviteur,
toi qui donnes la paix à tous tes serviteurs. » I l se
leva et retourna à son monastère.
Tous les princes et tous les généraux arméniens,
Mouschegh, le Martbed qu'on appelle père du roi
(
thakavorhaïr), les nobles, les gouverneurs de
provinces, le suivirent en deuil et accablés de
tristesse. Le saint étant entré dans son monastère
et ayant relevé son manteau, [on remarqua] qu'il
avait à l'endroit du cœur des taches bleuâtres
de la grosseur d'un gâteau. Les satrapes lui pré–
sentèrent des antidotes et du contre-poison pour
combattre l'effet du venin et le sauver; mais
Nersès refusa (a ) , afin de ne pas
se
rendre i n–
digne du mystère divin et du corps salutaire du
Seigneur, et il dit : « Laissez-moi abandonner
promptement ce monde injuste et ces hommes in–
grats. La séparation de l'âme et du corps est ter–
rible, et ce sera plus effrayant encore lorsqu'a-
près la résurrection, on sera livré aux tourments;
car la première désunit les liens de l'âme et du
(1)
Indjidji,
Arm. anc,
p. 21.
(2)
Faustus de Byzance, 1. Y, c. 24.
Fonds A.R.A.M