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GÉNÉALOGIE DE SAINT GRÉGOIRE.
et Théodose comprit que le grand patriarche
saint Nersès vivait. Aussitôt
il
le
conduisit chez
lui, et fit placer le siège du grand Nersès au-dessus
de ceux de tous les évéques et même du patriar–
che, qui s'étaient rassemblés au sujet de Macé-
donius, lequel rejetait la divinité du Saint-Esprit.
L'empereur Théodose renvoya dans le pays de
la Grande-Arménie saint Nersès, comblé de
gloire et entouré d'une grande pompe, de mar–
ques de respect et d'honneur (i).
IX. A cette nouvelle, le roi Arsace crut que
Nersès était ressuscité d'entre les morts, et il se
porta au-devant de lui avec son armée. Son re–
tour causa une grande allégresse dans le pays
d'Arménie
(2).
Le siège du saint apôtre Thaddée
et le partage [spirituel] de Grégoire I'IIIumina-
teur furent renouvelés. A l'époque du grand
Nersès, toute l'Arménie ressemblait à une seule
personne d'une vertu parfaite. On ne voyait point
de son temps de mendiants, car il dota les hôpi–
taux de tout ce qui était nécessaire aux pauvres.
Pendant tout le temps que saint Nersès était
restééloigné chezles Grecs, Arsace avaitcommis de
grandes fautes. Ayant vu une admirable vallée (3),
il ordonna d'y construire une ville qu'il appela
Arschagavan, et fit promulguer dans le royaume
cet édit : « Celui qui doit quelque chose à autrui,
qui aura enlevé ou la femme d'un autre, ou ses
serviteurs, ses trésors, ses chevaux, ses mulets,
ses biens ou tout ce que l'homme convoite sur
la terre, s'il se réfugie à Arschagavan, il ne pas–
sera point en jugement et aucune justice ne sera
exercée par le pouvoir royal. » I l fit aussi jeter
un pont dans un endroit mal situé, et agit de la
même manière. La ville se remplit d'une quan–
tité considérable de gens, et devint un repaire
de criminels, car les brigands, les meurtriers, les
voleurs d'esclaves, les violateurs de sépultures, en
un mot tous les malfaiteurs, se réfugièrent dans
(1)
Il règne une grande confusion dans tout ce récit,
et les renseignements fournis par notre auteur diffèrent
essentiellement de ceux que nous a transmis Faustus
de Byzance (1. IV, c. 10). — Le concile œcuménique de
Constantinople tenu en 381, et auquel il est fait allusion
dans ce passage de notre auteur, fut réuni en vue de
sanctionner celui de Nîcée, et d'insérer dans les canons
quelques paroles contre les hérétiques, et notammentcon–
tre les Macédoniens, au sujet desquels les Pères du con–
cile ajoutèrent un article sur la divinité du Saint-Esprit.
(2)
Faustus de Byzance, 1. IV, c. 13.
(3)
Cette vallée était située dans le canton de Kog
ou Gokovid, province d'Ararat. — Cf. Faustus de By–
zance, IV, 12.
Moïse de Khorène,
Géogr.,
dans Saint-
Martin,
Mém. sur PArm.,
t. II, p. 266-367.
cette ville qui procurait de grands revenus à
Arsace
(1).
Saint Nerses ayant appris les forfaits qui avaient
été commis en Arménie, entra fort irrité chez le
roi et, le réprimandant au sujet d'Arschagavan, il
lui dit : « Malheur
à
celui qui bâtit sa demeure
par l'injustice
(2),
car quoiqu'il y ait de grands
et de magnifiques palais, cependant elle tombera
en ruine. Maintenant ordonne qu'on démolisse
cette ville, que chaque habitant rentre chez lui;
et moi, je te bâtirai de mes mains d'autres villes
qui produiront au trésor royal sept foisplus d'ar–
gent. > Le roi méprisa son avis et n'en tînt aucun
compte. Saint Nersès dit alors au roi : « Puisque
tu ne m'as pas écouté, Dieu ne t'écoutera pas au
jour de ta détresse; puisque tu n'as point pitié du
malheureux pays d*Arménie, demeuré sans chef
[
spirituel] lorsque je suis allé au loin chez les
Grecs, le Seigneur de même n'aura pas pitié de
toi au jour de ton affliction; puisque tu as dénié,
la justice au triste pays d'Arménie, la royauté
sera aussi enlevée à la race des Arsacides, et vous
deviendrez les esclaves des satrapes d'Arménie.
Vous serez maltraité par celui-là même que vous
aurez maltraité. Le Créateur détournera sa face
de votre race, jusqu'à l'arrivée de l'impur du
désert (Antéchrist). Votre magnifique pays de–
viendra la proie des étrangers, devant vos yeux.
Et toi, Arsace, tu seras ton propre bourreau dans
des pays étrangers, comme Saûl et Hérode, car
Dieu me l'a fait voir. Puisque tu as commis un
crime nouveau, Dieu enverra une nouvelle pu–
nition à ta ville impure, et il ne restera pas sur
place une pierre qui ne soit bouleversée. »
Saint Nersès fit encore bien d'autres répri–
mandes au roi, et il le quitta fort irrité. Le grand
Nersès se rendit dans un lieu solitaire, et là, s'é-
tant mis en prières, Dieu livra cette ville injuste
à la destruction. Un bouton pestilentiel se forma
sur les hommes et les animaux, et ils étaient tout
à coup frappés de mort. Ce mal est appelé la
peste jusqu'à présent. Dix-huitmille maisons de–
vinrent désertes. Puis, tout à coup, on ressentit
un violent tremblement de terre et tous les habi–
tants furent écrasés. Nulle part, on ne voyait de
traces de pierres ou de charpentes [pour indiquer]
qu'en cet endroit il avait existé une ville (3).
(1)
Faustus de Byzance, 1. IV, c. 12.
Moïse de
Khorène,
Hist. dPArrn.,
1,
III. c. 27.
(2)
Jérémie, XXII, 13.
(3)
Faustus de Bjzance, 1. IV, c. 13.
Cf. aussi le
récit de Moïse de Khorène (III, 27) qui raconte qu'Ars-
chagavan fut ruinée par les satrapes d'Arménie, qui ne
voulaient pas tolérer l'existence d'une ville habitée par
Fonds A.R.A.M