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Saint Nersès se tint devant l'empereur et dit :
«
Je meurs pour le nom du Seigneur, par tes
mains; mais, dans le courant de cette année, tu
seras frappé de mort par un glaive invisible, et
ton empire sera donné à un homme qui exécutera
la volonté démon Dieu. » L'empereur, fort irrité,
ordonna d'exiler saint Nersès dans une lie déserte
et lointaine, avec soixante-douze autres ecclé–
siastiques, afin qu'ils y trouvassent la mort. I l n'y
avait pas de route par mer qui conduisit dans
cette île ; on n'y trouvait ni racines, ni eau, mais
seulement du sable. Les exilés y restèrent envi–
ron un mois et ils commencèrent à souffrir de
la faim et de la soif. Alors ils. se précipitèrent aux
pieds de
Vhomme
de Dieu, saint Nersès, afin
qu'il leur procurât le moyen d'échapper à ces sup–
plices. Saint Nersès commença à prier avec eux.
Lorsqu'il eut achevé sa prière, un vent qui s'é–
leva sur la mer, lança sur l'île une quantité
énorme de poissons, et de plus du bois et du sel.
Le bois s'alluma de lui-même, sans le secours du
feu. Ensuite saint Nersès se mit encore en prières
avec tout le monde; il fit lui-même un trou dans
le sable, et il en jaillit une source d'eau douce qui
dure jusqu'à présent. Les exilés se nourrissaient
de la sorte, le soir de chaquejour. Quant à saint
Nersès, il ne prenait de nourriture que tous les
quinze jours.
Ils
demeurèrent dans cette île pen–
dant neuf mois (i).
L'empereur Valens renvoya ensuite les princes
qui accompagnaient le grand Nersès
(2)
auprès
du roi des Arméniens, Arsace, avec des titres
d'honneur, de l'argent, des pierres précieuses et
de grandes faveurs. S'étant présentés devans
l'empereur Valens, les princes lui dirent : « Nous
sommes innocents de la perte de notre patriarche,
et il peut en résulter une guerre entre nous et
vous. » L'empereur Valens écrivit alors à Arsace :
«
Nersès a tué mon fils, l'héritier de mon empire,
et en face de mes grands, il m'a insulté comme
un esclave; c'est à cause de cela qu'on l'a exilé,
car il méritait la mort. Or, que ta fraternité ne
mé blâme point à cause de lui, car s'il avait agi
envers toi comme il l'a fait envers moi, tu te se–
rais toi-même vengé. » 11 rejeta toute la faute
sur saint Nersès, voulant par ce moyen calmer
le roi Arsace.
(1)
Faustus de Byzance, 1. IV, c. 5, 6 et 11. — C|est
par erreur que Faustus dit que le séjour des exilés
dans Vile déserte fut de neuf ans (IV, 5) .
(2)
Faustus nomme deux de ces princes, Knel et Di–
rith, neveux du roi Arsace, qui étaient en otage à Cons-
tantinople. Mais son récit est tout à fait différent de
celui de notre auteur. — Cf. 1. IV, c. 5 et 11.
Les princes qui étaient venus en ambassade
avec le grand Nersès, prirent la lettre et les
grandes sommes d'argent de Valens, et arrivèrent
auprès d'Arsace, dans le pays d'Arménie. Lors-
qu'Arsace apprit l'exil du grand Nersès, il entra
dans une grande colère. I l donna l'ordre à Vasag,
seigneur des Mamigoniens, général des troupes
arméniennes, de former des légions, d'organiser
une armée et de marcher contre le pays des Grecs.
Vasag le Mamigonien se rendit sur les terres de
l'empire grec et détruisit de fond en comble un
grand nombre de forteresses bien défendues du
pays ; il s'empara de beaucoup de butin et se di–
rigea sur les bords de la mer, vers l'endroit appelé
Chrysopolis (Khersoubolis) (
1
).
Il réduisit la ville
à la dernière extrémité et ne laissa entrer ni sortir
personne. Les Romains ne combattaient pas avec
les Arméniens à cause du traité signé entre Cons–
tantin et le grand Tiridate. Quant à l'armée qui
était auprès de Valens, elle n'osait pas se mesurer
avec les Arméniens, à cause de la puissance de
Vasag. C'est pourquoi l'empereur Valens, trouvant
de l'opposition parmi les citadins, se retira et se
rendit à Andrinople ( Atrianoupolis). Alors le
patriarche Nectarius, avec tous les grands, se ren–
dit au-devant de Vasag et de l'armée arménienne,
et il conclut avec eux un traité de paix [en vertu
duquel les Arméniens consentirent] à ne plus dé–
vaster le pays et à s'en retourner paisiblement
j
dans leur patrie. Huit mois après, Vasag rentra
auprès d'Arsace avec l'armée arménienne et
beaucoup de butin (a).
Quelque temps après, Valens vit dans un songe
saint Nersès qui lui tranchait la tête avec le glaive,
et lui disait : « Je t'arrache la vie, car tu as obs–
curci sur la terre beaucoup d'illuminateurs. »
L'empereur raconta le songe qu'il avait eu, et
on considéra la chose comme une chimère. Le
même jour, l'impie Valens mourut comme un
chien, dévoré par le feu ; d'autres disent qu'il
fut tué par un glaive invisible (3). Après lui, on
plaça sur le trône Théodose qui confessait la foi
orthodoxe. Des marins aperçurent la lumière
d'un foyer dans l'île où se trouvait saint Nersès,
(1)
Chrysopolis, ville de la Bithynie, située en face
j de Constantinople, voisine de Chalcédoine, et sur l'em–
placement de laquelle s'élève actuellement Scutari.
(2)
Selon Faustus de Byzance (1. IV, c. H), Vasag
reçut l'ordre d'Arsace d'aller dévaster la Cappadoce
qui appartenait aux Grecs. Il se porta avec
260,000
hommes contre cette province qu'il ravagea jusqu'à la
ville d'Ancyre, pendant six ans.
(3)
Comparer ce récit avec celui de Faustus qui ra–
conté d'une façon très-différente la mort de Valens
(1.
IV, c. 10). —Cf. notre Collection, t. I, p. 245.
Fonds A.R.A.M