VIE DE SAINT NERSÈS.
A cette nouvelle, le grand Nersès, aecablé de
tristesse, courut; à la demeure du roi et lui dit :
«
Roi injuste, tu t'es bouché les oreilles avec.les
mains, imitant en cela le serpent et l'aspic qui se
replient sur eux-mêmes pour échapper aux char–
meurs; mais ce moyen ne les. sauve pas. Tu as
fait de même et tu n'as pas épargné ton cousin
(
fils du frère), ton compagnon et ton proche pa–
rent. Or celui qui est devenu notre frère par sa
propre volonté ne t'épargnera pas au jour de
ton châtiment. Tu as assassiné Knel à cause de la
succession au trône ; mais votre royauté se divi–
sera comme celle d'Israël et vos domaines seront
partagés par des étrangers, vos ennemis. Vous
serez livrés à l'esclavage, à la famine, au glaive et
au joug de la servitude [qui pèsera toujours] sur
votre cou. Vos biens et votre pays deviendront la
proie des étrangers, et vous prendrez la fuite au
seul bruissement des feuilles. Vous serez méprisés
comme de l'eau corrompue et vous n'aurez plus
la force de bander un arc. Race des Arsacides !
vous viderez le calice jusqu'à la lie et vous vous
en enivrerez; vous tomberez pour ne plus vous
relever. Dieu vous livrera à vous-même pen–
dant quelque temps pour le bien du pays; après
quoi, il vous retirera la royauté et le sacerdoce,
et vous marcherez dans le monde sans chefs,
comme un troupeau privé de son pasteur. Quant
à toi qui as assassiné ton frère Knel, tu as renouvelé
le crime de Caïn et tu seras accablé sous les mêmes
malédictions; de ton vivant, on t'enlèvera la
royauté et tu éprouveras encore plus de cha–
grins que ton père Diran. Tu te tueras toi-même
avec le glaive, comme Saûl et Hérode, et tu sor–
tiras de la vie par une mort cruelle. »
Saint Nersèsprononça ces paroles avec d'autres
encore, et le roi honteuxfixaitles yeux à terre,
comme frappé d'un étourdissement. Le grand
Nersès sortit et ne se montra plus au camp du roi.
U alla parcourir les cantons de Vasbouragan et y
rétablit les institutions de l'Église. De là, il se di–
rigea vers l'Ibérie, et il y restaura beaucoup d'é–
glises.
Cependant l'épouse du jeune Knel se mit à se
lamenter dans le camp royal ; elle pleurait amère–
ment la perte de son époux, et arrachait deslarmes
à tous les assistants. Dirith envoyaun messagerpour
lui dire : « Ne pleure pas ainsi, car tu seras mon
épouse. » Quand Pharandzeml'eut entendu, elle se
mit à se lamenter et à dire : «Hommes, écoutez,
c'est à cause de moi que mon époux a été tué. »
Khorène (III, 21-25).
—
Cf. notre Collection, t. I, page
252,
note 1.
Le roi Arsace, étant accouru aux cris de Pharand–
zem, la vit et s'éprit de sa beauté. En apprenant
cela, Dirith prit la fuite, pour ne pas être mis à
mort par le roi qui envoya des soldats à sa pour–
suite. Ceux-ci l'atteignirent et le tuèrent dans la
province de Daïk. Arsace épousa Pharandzem qui
lui donna deux fils, dont le premier fut appelé
Bab (i) et le second Tiridate (Dertad) (a).
Les meurtriers de Knel moururent, grâce aux
prières de saint Nersès, qui dit : « Les mains qui
ont trempé dans le sang, et les langues qui ont
calomnié Knel devant le roi, ne seront pas re–
couvertes de terre bénie, mais elles seront [pri–
vées de sépulture] jusqu'à l'arrivée du juge qui
leur rendra justice. » Selon la parole de l'homme
de Dieu, leurs corps se conservent jusqu'à présent
dans des grottes d'un accès difficile de la province
de Karni (3).
VIII. Cependant Pharandzem haïssait le roi
Arsace et lui parlait avec hauteur. Le roi Arsace,
voyant la haine [que lui portait sa femmeJ, en–
voya [des messagers] en Grèce et se fit amener,
pour en faire son épouse, la sœur de l'empereur
(
roi) Valens (Vaghès), qui s'appelait Olympie
(
Oghombis) (4)* Le roi lui donna la couronne, car
il la préférait à Pharandzem. Pharandzem conçut
aussitôt de la haine contre Olympie et cherchait
à la perdre. Elle trouva un complice dans la per–
sonne d'un prêtre du palais nommé Merdchounig,
qui accomplit un crime inouï. Il mêla du poison
au breuvage vivifiant, au mystère salutaire [de
l'Eucharistie] ; il le donna à la reine Olympie dans
l'église, et il l'assassina ainsi (5).
Lorsque l'empereur [des Grecs] apprit la mort
de sa soeur, il voulut Eure éclater la guerre entre
les Arméniens et les Grecs. Quand le roi Arsace
sut que le roi des Perses Sapor (Schabouh) et
l'empereur des Grecs s'étaient ligués contre lui, il
alla en personne avec son armée à la recherche
du grand patriarche Nersès [qui se trouvait] à
Aschdischad, dans [le canton de] Daron. Le roi
se jeta aux pieds de saint Nersès, il lui demanda
le pardon de ses fautes et [lui promit] de se con-
(1)
Faustus de Byzance, 1. IV, c. 15.
(2)
Faustus ne fait en aucune façon mention du se–
condfilsd'Arsace et de Pharandzem.
(
S) Cf. Vartan (
Hist. d'Arm.,
éd. de Venise, p. 126)
qui dit qu'en l'an 1161, on découvrit à Scbatiabivan
les cadavres des assassins de Knel, ayant leurs vête–
ments bien conservés et leurs corps couverts de sang,
parce qu'ils avaient été tués
à
la prière de saint Ner–
sès.
(4)
Faustus (IV, 15} est moins explicite, car il dit seu–
lement qu'Olympie était du sang impérial.
(5)
Faustus de Byzance, 1. IV, c. 15.
Fonds A.R.A.M