chant comment remédier [à cet inconvénient],
eut recours à Dieu tout-puissant, pour qu'il lui
révélât les caractères de la langue arménienne et
qu'on [suppléât] à la prédication par l'écriture.
S'étant mis ensuite en voyage, il vint trouver
saint Sahag, patriarche des Arméniens (i) pour
l'entretenir au sujet de l'alphabet, et il le trouva
encore plus désireux que lui [de mener la chose
à bonne
fin].
Après des efforts nombreux et un travail assidu
sans résultat, ils eurent de nouveau recours à la
prière et demandèrent à Dieu [de leur accorder]
ce qu'ils souhaitaient. Ils se quittèrent ensuite,
s'adonnèrent à l'austérité, et se livrèrent de plus
en plus à la mortification.
Cependant le roi Vram-Schapouh
(2),
ayant
connu [leurs désirs], se montra très-zélé pour la
découverte [d'un alphabet], et il envoya Mesrob
avec ses disciples dans la Mésopotamie de Syrie.
Le bienheureux visita toutes les localités où la
science des philosophes était particulièrement
célèbre. I l rencontra un évéque syrien, du nom
de Daniel, personnage recommandable par sa
vertu, qui lui promit de lui montrer les caractères
alphabétiques qu'il cherchait. Tous leurs labeurs,
leurs recherches et leurs études n'amenèrent
aucun résultat, car ils ne purent arriver à former
les signes alphabétiques et les sons propres à la
langue arménienne (3).
Alors Mesrob recourut
a
Dieu avec ferveur.
11
lui adressait des prières mêlées de larmes, et il
demandait, et le jour et la nuit, au maître de
toutes choses, de lui révéler les lettres si désirées.
Aussitôt il les aperçut, non pas en» songe pen–
dant le sommeil, non pas dans une vision pen–
dant qu'il veillait, mais dans son cœur, où elles
apparurent aux yeux de son esprit, tracées par
le poignet d'une main droite écrivant sur la
(1)
Saint Sahag I , dit le Grand ou le Parthe, occupa
le siège patriarcal de l'an 390 jusqu'à l'an 440. Durant
son pontificat, Bahram Y, roi sassanide de Perse, plaça
sur le trône patriarcal, d'abord Berlrischoï, puis Samuel,
deux Syriens intrus. Mais Sahag recouvra à lafinde sa
vie ses fonctions, et eut pour coadjuteur Mesrob qui
avait été durant de longues années le coopérateur du
patriarche. — Cf. dans la Petite Bibliothèque arm., t. II
(
Venise,
1853),
VHist. de saint Sahag ,
et différents
autres écrits relatifs à ce patriarche et aux actes de son
administration spirituelle.
(2)
Vram-Schapouh, frère de Chosroès, ou Khosrov m,
fut nommé roi de la partie perse de l'Arménie, lors du
renversement de son frère par les Perses. U régna de
l'an 392 jusqu'à sa mort, en 414, et il fut remplacé par
ChosroèsIII, que les Perses rétablirent comme roi d'Ar–
ménie, après l'avoir tiré de sa prison.
(3)
Cf. Moïse de Khorène,
Hist. d'Arm.,
liv. m,
ch.
52, 53.
pierre, de la même manière que l'on voit sur la
neige les moindres traits d'une ligne. I l y eut
non-seulement apparition, mais bien plus, tous les
détails [de la révélation] se gravèrent dans son
esprit comme dans un vase
(1).
S'étant levé après sa prière, Mesrob créa nos
lettres avec un solitaire de Samos
(2),
Rufin
(
Rouphanos), disciple d'Épiphane
(3),
qui donna
aux caractères les formes voulues, selon les indi–
cations du bienheureux docteur Mesrob, et en
modifiant les lettres arméniennes d'après le mode
parfait de l'alphabet des Hellènes.
Aussitôt après, on entreprit des traductions,
en commençant judicieusement par les Proverbes
du sage Salomon, et on traduisit complètement
en arménien les vingt-deux livres authentiques
et l'Ancien-Testament. Les disciples de Mesrob,
Jean et Joseph (4), y travaillèrent également, en
même temps que lui-même apprenait à ses plus
jeunes élèves l'art de l'écriture.
En ce temps—là, Théodose le jeune était sur
le trône. Le bienheureux Mesrob, docteur des
Arméniens, vint présenter les caractères alpha–
bétiques de notre langue au saint [Calholicos] des
Arméniens Sahag, et au roi Vram-Schapouh, qui
s'en réjouirent, comme si [c'eût été] les Tables
divines, et ils remercièrent et glorifièrent le Créa–
teur tout-puissant, pour les nouveaux dons qui
leur venaient d'en haut. Mesrob réunit des en–
fants intelligents, instruits, ayant la voix douce
et la respiration longue; il fonda des écoles dans
toutes les provinces et dans tous les villages, selon
l'ordre du saint patriarche et du roi, et il dota
de son enseignement tout le pays d'Arménie. Le
bienheureux serviteur de Dieu se rendit ensuite
dans le pays des Géorgiens, les dota d'un alpha–
bet, qui lui avait été inspiré par la grâce céleste
de Dieu, et il laissa des docteurs dans différentes
villes pour instruire les enfants (5). Puis il alla
dans le pays des Aghouank, renouvela leur al–
phabet, fit revivre les traditions de la science, et,
y ayant aussi laisse des docteurs, il revint en
(1)
Cf. Moïse de Khorène,
Hist. d'Arm.,
liv. m,
ch.
53.
(2)
Saint-Martin
(
Hist. du Bas-Emp.
de Lebeau, t. V,
liv.
XXVIII, §
33
)
suppose, avec raison, qu'il ne s'agit
pas ici de l'Ile de Samos dans l'Archipel, mais bien de
Samosate, ville de Syrie voisine de l'Arménie.
(3)
Cf. Moïse de Khorène,
Hist. d'Arm.
,
liv. m,
ch.
53.
(4)
Jean d'Egéghiatz et Joseph de Baghin sont égale–
ment cités par Moïse de Khorène. —Cf. le P. Karékin,
Hist. delà littér. arm.,
p. 189.
(5)
Cf. Moïse de Khorène,
Hist. d'Arm.,
liv. m,
ch.
54.
Fonds A.R.A.M