caractères étrangers, perses, syriaques et grecs
par les Arméniens, antérieurement à l'intro–
duction de l'alphabet national, on ne saurait
avoir aucun doute à cet égard. Moïse de Kkorène
le dit formellement ( i ) , et son témoignage ne
saurait être suspect, puisqu'il vécut à une époque
où très-certainement l'usage de ces alphabets
étrangers était encore en vigueur, et qu'il avait
sous les yeux des manuscrits et des documents ré–
digés en langue arménienne et dont les caractères
étaient perses, syriaques ou grecs. Les difficultés
de toute nature
(2)
qu'éprouvèrent les premiers
adeptes de la foi chrétienne en Arménie, pour
écrire leur langue et mettre à la portée de tous
les livres de la nouvelle doctrine, fut une des
causes principales qui amena l'introduction d'un
alphabet national. Le Clergé, privé de l'instru–
ment principal qui devait servir à fixer la parole
divine, dut nécessairement songer, dès les pre–
mières années de la conversion des Arméniens à
la foi évangétique, à suppléer au défaut d'un al–
phabet national, en inventant des caractères
propres à rendre tous les sons de la langue ar–
ménienne. Du reste, l'invention d'un alphabet
suit toujours de très-près l'introduction d'une foi
nouvelle chez un peuple barbare, et cette inno–
vation n'a rien de blessant, puisqu'elle est con–
sidérée comme une institution religieuse
(3).
Les
esprits se trouvaient donc parfaitement préparés
en Arménie, pour recevoir un alphabet national,
quand les premières tentatives furent faites pour
remplacer l'usage des caractères étrangers par un
nouveau système graphique, qui devait satisfaire
à toutes les exigences et à toutes les nuances des
articulations de l'idiome arménien.
«
Cette opération, purement littéraire en appa–
rence, dit Saint-Martin
(4),
eut pour résultat de
séparer à jamais les Arméniens des autres nations
de l'Orient, d'en faire un peuple distinct et de
les affermir dans la religion chrétienne, en pros-
(
t)
Moïse de Khorène,
Hist. d'Arm.,
liv. III, ch. 54.
Cf. aussi Diodore de Sicile, liv. XIX, § 13.
Polyen,
liv. IV, ch. 8, § 3. — Zénob de Glag,
Hist. de Daron
(
en
arm.), pag. 27 et suiv., et
Collect. des hist. de l'Armé–
nie,
1.1,
pag. 347. —Notre
Numism. de VArmén. dans
Vantiq.,
pag. 23 et suiv.
(2)
Moïse de Khorène,
op. cit., liv.
III, ch. 54.
(3)
Ludolf,
Hist. JEthtop.,
liv. IV, ch. 1,
init. —
Re–
nan,
Hist. des lang. sémit.
(3
e
edit.), pag. 292.
(4)
Hist. du Bas-Empire
de Lebeau ( éd. Saint-Mar–
tin ), t. V, pag.
320.
crivant ou en rendant profane l'usage de tous les
caractères alphabétiques étrangers répandus dans
le pays et destinés à transcrire les livres des ido–
lâtres ou des sectateurs de Zoroastre. C'est à l'exé–
cution de cette entreprise que nous devons la
conservation de la langue et de la littérature des
Arméniens. I l est probable que, sans elle, ces
peuples n'auraient pas tardé à se confondre avec
les Perses ou avec les Syriens, et à disparaître
entièrement,
comme
tant d'autres nations de l'an**
cienne Asie. C'est aussi là ce qui a distingué
d'une manière particulière la nation et l'Église
arméniennes, ce qui a conservé longtemps leur
indépendance politique et religieuse et a perpétué
jusqu'à nous leur existence. »
Tous les critiques s'accordent à considérer
Mesrob comme l'inventeur des caractères armé–
niens, et cette opinion, mise en avant par Go–
rioun , Moïse de Khorène, Lazare de Pharbe et
d'autres écrivains d'un âge postérieur, est telle–
ment accréditée, que le nom de « caractères
mesrobiens » est devenu la seule appellation que
l'on a coutume de donner à l'alphabet national
arménien. Toutefois il est bon de faire obser–
ver que Mesrob, qui a coopéré puissamment à
l'introduction de l'alphabet national en Arménie,
ne fut pas le premier à s'occuper de la question
de l'invention des caractères. Le savant Luc Ind-
jidji a fait observer, avec beaucoup de justesse,
que des tentatives antérieures avaient été faites,
et que Mesrob ne fit que reprendre un travail
qui avait préoccupé depuis de longues années
déjà les lettrés de l'Arménie
(1).
En effet, Go–
rioun et Moïse de Khorène font observer qu'il
existait, antérieurement à l'invention des carac–
tères arméniens, un ancien alphabet national, dont
l'usage était abandonné depuis longtemps déjà (a).
Il résulte donc qu'antérieurement à l'introduction
de l'alphabet dit mesrobien, il y avait en Ar–
ménie des signes graphiques particuliers à la
langue nationale, et ce sont ces caractères qui
sont improprement désignés sous le nom de
da-
niéliens.
Mais, comme il ressort des expressions
mêmes des historiens que cet alphabet est anté–
rieur à Daniel et qu'il n'a pu être inventé par
(1)
Indjidji,
Antiquités de l'Arménie
(
en arm.), t. in,
pag. 69 et suiv.
( 2 )
Gorioun,
Hist. de Mesrob
(
en arm.), dans la «Pe–
tite Biblîoth. choisie », t. XI , pag. 4 et suiv. —Moïse
de Khorène,
Hist. d'Arm.,
1.
III, ch. 52.
Fonds A.R.A.M