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I N T RODU C T I ON .
rant le texte du « Traité du Destin » , conservé
par les
Récognitions
,
avec les textes d'Eusèbe et
du « L i v r e de l a l oi des contrées » , on s'aper–
çoit bien vite que ce ne fut pas l'auteur des
Ré–
cognitions
qui traduisit l'ouvrage attribué à Ba r -
desane, mais au contraire que ce fut l'auteur du
«
L i vre de l a l oi des contrées » qui s'est servi
du travail du pseudo-Clément. D'où i l résulte
que si Bardesane lui-même a écrit un « Traité
du destin » , ce fut ce traité qui fut traduit par
l'auteur des
Récognitions,
et puis transcrit e n –
suite en syriaque par un disciple de Bardesane,
du nom de Phi l ippe , qui aurait développé l'œu–
vre primitive de son maître, en l u i donnant un
titre nouveau : « le L i v r e de l a loi des contrées » ,
.
qui est précisément celui que nous trouvons en
tête de l'édition de Cureton , attribuée à Bar •
desane.
M. Hilgenfeld, qui a résumé, dans son mémoire
sur Bardesane, toutes les opinions des critiques
ses devanciers, croit également que la tentative
faite pa r Apollonius, — philosophe courtisan qui
accompagnait, dans son voyage d'Orient, Luc i us
Ve r us , — en vue de conquérir pour le paga –
nisme le plus illustre des chrétiens de S y r i e , est
une pure invention ; et en effet, nous avons v u
précédemment que les dates s'opposent à un p a –
reil rapprochement, puisqu'il est démontré
actuellement que Bardesane fleurit postérieure–
ment à l'époque des règnes de Marc-Aurèle et de
Luc i us Verus. E n outre, r i en dans le dialogue
de Bardesane ne fait soupçonner une controverse
avec Apollonius, dont le nom ne figure pas dans
la discussion. De son côté, M. Merx suppose,
avec beaucoup ,de sagacité, que le récit de l a
prétendue dédicace du livre de Bardesane à Marc
Aurèle ou à Lucius Verus provient de ce que
certains apologistes avaient adressé leurs écrits à
l'empereur philosophe, et par analogie on aura
admis que Bardesane avait également adressé son
«
Traité du Destin » à Marc Aurèle. A u con–
traire , i l parait plus vraisemblable de croire que
Bardesane, qui avait eu en Syrie des relations
avec Elagabal avant qu'il parvînt à l'empire,
l'aurait fait intervenir avec l u i comme principal
interlocuteur dans son dialogue, et que c'est ce
fait qui a donné lieu à celte supposition que
Bardesane avait adressé son livre à un empereur.
E n effet, El agaba l , que l a critique allemande
prétend être l'adversaire de Bardesane dans son
dialogue, portait un nom qui se rapproche tout à
fait de celui d'Avida, l'interlocuteur de Bardesane.
L'histoire nous apprend que le véritable nom de
cet empereur syrien était Varius Avitus Bassia-
nu s , et que ce nom d'Avitus fut même porté par
l'aïeul d'Elagabal. E n comparant ensemble les
deux noms
Avida
et
Avitus
,
on reconnaît sans
peine que le second n'est que l a forme ou la
transcription latine du nom syr i aque , et rien ne
s'oppose dès lors à ce qu'on ne considère le nom
d'Avida du dialogue précité, comme servant à
désigner l'empereur Elagabal lui-même.
I l serait facile de grouper encore d'autres
preuves en faveur de l'opinion de l'école alle–
mande, et tendant à démontrer que Bardesane
n'a pu être l'auteur du « L i v r e de l a loi des con–
trées ». Mais ces preuves, tirées des doctrines
professées dans cet ouvrage, ressortiraient de
notre cad r e ; disons cependant qu ' i l résulte de
l'examen du texte syriaque du « L i v r e de l a loi
.
des contrées » , que les doctrines qu i y sont e x –
posées diffèrent sur beaucoup de points de celles .
qu'Ephrem attribue à Bardesane, et sont en op –
position avec celles professées pa r ce chef de
secte, dans les fragments du « Traité du Destin »
qu'Eusèbe et les autres Pères de l'Église avaient
eu principalement sous les yeux.
Lorsque Bardesane fut rentré à Édesse, i l eut
l'occasion de se mettre en rapport avec des
pan–
dits,
venus de l ' I nde , comme ambassadeurs en
Occident. Bardesane r ecue i l l i t , de l a bouche
même de ces envoyés, des informations curieuses
sur leur pay s , et i l composa à ce sujet des Com–
mentaires , dont deux fragments seulement nous
ont été conservés pa r Porphyre ( i ) , et que l'on
n'hésite pas à considérer comme les meilleurs
renseignements que l'antiquité nous ait transmis
sur l'Inde
(2) .
Ce fut seulement à l a fin de sa v i e , si l'on en
croit l'auteur des
Philosophumena
,
que Ba r de –
sane disputa avec les Marcionites, secte issue de
celle de Va l ent in , dont Marcion avait été le di s -
(1)
Porphyre,
de Absiinentia,
liv'. IV, § 17; et
de
Styge,
éd.
Bolst.,
p.
282.
—
Cf. aussi
M.
Reinaud,
Relations politiques et commerciales de l'Empire ro–
main avec l'Asie centrale, etc.;
§ 3,
p.
239
et
240.
(2)
Renan,
Hist. des lang. sémit.,
liv.
I I I ,
ch.
4,
p.
281,
note
3.
Fonds A.R.A.M