H I S TO I RE ANC I ENNE D E L'ARMÉNIE.
turbation est étouffée. Or, en voyant tous les
avantages qui résultent de l'amitié, j ' a i songé à
rendre la nôtre plus stable et plus profonde.
Ainsi, fortifiés de tous les côtés, nous maintien–
drons notre empire ferme et inébranlable. Et
cela, tu peux le faire, en m'accordant la fille
de la grande Arménie, ta sœur Dikranouhi,
pour épouse. J'espère que tu considéreras cette
union comme avantageuse pour ta sœur, qui de–
viendra la reine des reines. Porte-toi bien, mon
compagnon royal et mon frère bien-aimé. »
Sans prolonger ce récit, je dirai : L'envoyé a c –
court et accomplit la négociation au sujet de la
belle princesse ; car Tigrane consentit à donner sa
sœur Dikranouhi pour épouse à Astyage. Ignorant
complètement les ruses ourdies par ce dernier,
Tigrane envoie sa sœur,
comme
c'était la coutume
des rois ( i ) . Ayant reçu la princesse, Astyage,
non-seulement pour le succès des ruses qu'il mé–
dite en son cœur, mais encore à -cause de la
beauté
1
de Dikranouhi, l'élève au premier rang
de* ses femmes, mais en lui-même i l mûrit ses
perfides projets.
X X I I . (CH. XXIX.)
Comment la perfidie d Astyage fut découverte, et
comment s'engagea la bataille où il fut tué.
Apres cet événement, dit [l'historien], Astyage,
ayant élevé Dikranouhi à l a royauté, ne faisait rien
dans le royaume sans sa volonté; i l réglait tout
îvec elle, et ordonnait à tous ses sujets d'être
soumis à ses ordres. Ayant ainsi disposé toutes
choses, i l commença doucement à lui insinuer ces
perfides paroles : « Tu ne sais pas, dit-il, que ton
frère Tigrane, excité par sa femme Zarouhi, est
jaloux de te voir commander aux Arik
(2)?
(1)
Un manuscrit porte : « Tigrane envoie sa sœur, avec
une pompe royale. »
(2)
Le nom d'Arik, qui en arménien signifie les
braves,
s'applique aux Mèdes dans tous les passages de Moïse
de JKhorêne où on le trouve employé.
Aryaka
est en
effet un des noms de la Médie, et M.
J .
Mùller
(
Journal
asiatique,
1839,
p. 298) n'hésite pas
à
rapprocher ce
nom de celui d'Arik employé par les Arméniens. Ceux-ci
l'ont également par extension appliqué aux Perses, no–
tamment Lazare de Pharbe (
Hist. oVArménie
,
p. 149,
270, 271),
Faustus de Byzance
(
Hist. d'Arménie, y.
136),
Elisée
(
Hist. des Vartaniens, passim),
Esnig
(
Réfut.
des hérésies,
p. 122, 123). M. Quatremère, dans son
His–
toire des Mongols, par Rachid Eddin (
collect. orien–
tale, p. 241 et suiv., note 76), n'hésite pas
à
assimiler
le mot
Arik
à
Iran
,
en s'appuyant, sur la formule qui
se lit sur la légende des monnaies sassanides, où les mo-
narques perses prennent le titre de
Malkan malha
37
Qu'en adviendra-t-il? D'abord je devrai mourir,
et ensuite Zarouhi régnera sur les Arik, et occu –
pera la place des déesses. Donc, i l faut que tu
choisisses l'un'de ces deux partis : ou, par amour
pour ton frère, d'accepter sous les yeux des Arik
la ruine et l'infamie; ou bien, consultant ton
propre intérêt, proposer quelque utile conseil et
conjurer les événements. »
Cependant, au milieu de ces perfides détours,
se cachait encore le projet de faire périr Dikra^
nouhi, si son avis n'était pas conforme à la volonté
du Médo-Perse. Mais la prudente et belle pr in–
cesse, devinantl'artifice, répondit très-tendrement
à Astyage; et aussitôt,par de fidèles messagers,
elle révèle à son frère les trames perfides de son
époux.
Dès
ce moment, Astyage se met à l'œuvre; i l
demande par des messages une entrevue à T i –
grane aux frontières des deux États, simulant une
affaire importante qu'il est impossible de traiter
par lettre ou par ambassade, si les deux souve–
rains ne sont pas en présence. Mais Tigrane, ayant
su par le messager le but proposé, ne cacha rien
de ce que pensait Astyage, et lui déclara par
lettre connaître toute la noirceur de son cœur.
Cette perfidie une fois découverte, i l n'y avait
plus dès lors ni paroles ni fourberies qui pus–
sent pallier tant de méchanceté, et la guerre se
préparait ouvertement.
L e roi des Arméniens rassemble des frontières
de la Cappadoce, de l'Ibérie (Vratsdan)
( 1 )
et de
Iran ou Aniran,
qui répond exactement
à
une expression
identique de Moïse de Khorêne,
les Arik et les Anarik
(
Cf.
Lettre de Sapor aux habitants de Tigranocerte;Hist.
d?Arménie,
liv. i n , ch. 26). Elisée ( p. 9,22 et
passim),
Lazare de Pharbe (p. 80, 145, 270, 275) et Eusèbe (vers,
arm. delà
Chron.,
1.1,
p. 2) emploient aussi les mêmes
expressions
A rik
et
Anarik.
M. Quatremère croit que les
formes
Arik et Anarik
servent
à
désigner, chez les auteurs
arméniens, les Mèdes et les Perses. A l'appui de son opi–
nion, le savant critique invoque le témoignage d'Hérodote
qui dit que les Mèdes avaient été anciennement connus
dans toute l'Asie sous le nomd'
tf
Apioi (liv. V I I , ch. 62),
et on sait que Hellanicus, qui écrivait avant Hérodote,
cite 'Apia comme un nom de la Perse
(
Fragm. hist.
grxc,
1.1,
p. 68, n° 168). Etienne de Byzance nous a
conservé également le nom 'ApiavCa pour l'Atropatène, qui
est la partie septentrionale de la Médie. — I l n'entre
pas dans notre sujet de parler ici des Aryas ou Ariens,
dont le nom se rattache aux Arik des auteurs arméniens ;
nous nous contenterons de citer les principaux ouvrages
où les origines de ce peuple ont été étudiées, notam–
ment Ad. Pictet,
Origines européennes
ou
Aryas pri–
mitifs.
—
Burnouf,
Commentaire sur le Yaçna,
note K,
p. lxij, note 2, p. cv, 66. — Max Muller,
la Science du
langage
(
Paris, 1864), p. 254 et suiv. de la traduction
française, etc. etc.
(
l) Le mot
Vratsdan
est
l
'
appellation donnée par les
Fonds A.R.A.M