H I S TO I RE ANC I ENNE D E L'ARMÉNIE.
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qu'à ce qu'ensuite agrandi par d'autres, ce village
fut nommé Césarée. C'est ainsi qu'Aram, depuis
ces lieux jusqu'à son propre empire, remplit
d'habitants beaucoup de contrées désertes, et le
pays fut nommé la Deuxième, la Troisième etmême
la Quatrième Arménie ( i ) . Voilà la première etla
véritable raison d'appeler les parties occidentales
de notre pays, Première, Seconde, Troisième et
Quatrième Arménie. Et ce que disent certaines
personnes de l'Arménie grecque, ne nous plaît
aucunement : que les autres fassent à leur guise !
L e nom d'Aram est tellement puissant et re–
nommé jusqu'à ce jour, comme tout le monde le
sait, que les nations qui nous entourent, le don–
nent à notre pays. On raconte d'Aram bien d'au–
tres actions d'éclat; mais nous en avons dit assez
sur ce sujet.
Mais pourquoi ces faits ne furent-ils pas consi–
gnés dans les livres des rois et des temples
(2) ?
(1)
Ces quatre provinces sont décrites dans la
Géogra–
phie
de Pappus, dont la traduction est attribuée
à
Moïse de Khorène ou
à
un de ses contemporains qui a
intercalé dans le texte de Pappus des détails spéciaux
sur l'Arménie. (Cf. Saint-Martin,
Mém. sur FArm.,
t. I I ,
p.354-355 et 360-361.
—
ïndjidji,
Géogr. mod.,
p. 284,
322
et suiv. ) — Ces provinces sont aussi connues des
géographes sous le nom de Petite-Arménie (Saint-Martin,
Mém. sur FArm., 1.
1,
p. 180 et suiv.).
(2)
Les Arméniens, comme tous les peuples dont l'o–
rigine est fort ancienne et qui font remonter leurs an–
nales
à
une époque antérieure aux temps historiques,
n
'
ont consigné par écrit que fort tard les traditions na–
tionales. Leur histoire fut conservée d'abord par la tra–
dition orale ; et ensuite,
à
une époque relativement
plus moderne, ces traditions furent recueillies et con–
signées dans des livres qui se conservaient, comme nous
l
'
apprend Moïse de Khorène, dans les palais des rois
et dans les sanctuaires des temples
('
Hist. d'Arm.
liv. I , ch. 3,5; I I , 27). Les traditions orales se com–
posaient de chants,
erk,
de narrations,
veb,
et de tra–
ditions,
zroïtz.
Ces récits furent d'abord rassemblés
dans des
livres de traditions
(
Moïse de Khorène, liv. I ,
ch. 3, 6, 7 ) ou bien seulement gardés d'âge en âge dans
la
mémoire du peuple arménien ; et ces derniers livres fu–
rent mis à profit, aussi bien que les traditions écrites, par
l'Hérodote arménien ( liv. I , ch. 2, 3, 9, 10 ). A côté de
ces
documents se rattachant
à
l'histoire positive, les Ar–
méniens avaient aussi des fables ou mythes,
arasbel,
qui étaient des récits réels au fond, mais présentés sous
le
voile de l'allégorie ( Moïse de Khorène, liv. I , ch. 3,
5, 7, 12, 19, 30 ;
liv. I I , 50, 51, 54, 61, 70, etc. ) et qui
peuvent être comparés
à
des
légendes
créées par l'ima–
gination et où le merveilleux tient une plus grande place
que la réalité (Emin,
Vebk
préface
et
passim).
—
Ainsi que nous l'avons dit tout
à
l'heure ', tous ces
chants, narrations, traditions et légendes furent ras–
semblés en corps d'ouvrage et conservés dans les palais
des rois et dans les archives des temples. Les dépôts les
plus célèbres en fait de documents de ce genre setrouvaient
à Ninive (?), Medzpin, Edesse et Sinope ( Moïse de Kho–
rène, liv. I , ch.
2,
3 ;
I I , 27, 49). I l paraît que les
Cependant que personne ne conçoive à cet égard
ni doute, ni suspicion. Car premièrement, Aram
est antérieur au règne de Ninus, époque où per–
sonne ne se préoccupait de tels soins ; et deuxiè–
mement, les peuples ne sentaient ni l'utilité, ni
le besoin, ni l'intérêt de s'occuper des nations
étrangères, des pays lointains, de recueillir les
anciennes traditions, et les récits des premiers
âges dans les livres de leurs rois ou de leurs tem–
ples; d'autant plus que la valeur et les exploits
des peuples étrangers n'étaient pas pour eux un
motif de vanité ou d'orgueil. E t , bien que non
consignés dans leurs propres livres, ces faits,
comme le raconte Mar Apas Catina, ont été ex–
traits des ballades et des chants populaires, com–
posés par quelques obscurs écrivains, et se trou–
vent réunis dans les archives royales. I l y a
une autre raison, dit-il encore, c'est que, comme
je l'ai appris, Ninus, homme imprudent et égoïste,
voulant se donner comme le principe unique, le
premier auteur de toute conquête, de toute qua–
lité et de toute perfection, fit brûler quantité de
livres d'annales des premiers âges , qui se conser–
vaient dans différents endroits et relataient les
actes de bravoure de tels ou tels personnages; il
fit également détruire les annales relatives à son
époque, exigeant que l'histoire n'écrive que pour
lui seul. Mais il est superflu de répéter tout
ceci.
Aram engendra Ar a ; puis ayant encore vécu
de longues années, il mourut.
prêtres n'étaient pas seulement les dépositaires des ar–
chives historiques de la nation, mais qu'Us étaient
chargés en outre d'écrire, jour par jour, les événements
qui touchaient en quelque façon, soit au sacerdoce, .
soit
à
la vie politique du pays. Ces annales étaient con–
nues sous le nom
d'Histoire des temples.
Moïse de Kho–
rène nous a conservé le nom d'un de ces prêtres anna–
listes d'Ani, Oghioub [Olympios] qui vécut dans la
seconde moitié du premier siècle de notre ère. (Moïse de
Khorène, liv. I I , ch. 48.
—
Cf. aussi Emin,
Recherches sur
le paganisme arménien, p.
54.)
—
Peut-être doit-on rat–
tacher à cette classe de prêtres historiographes, des fonc–
tionnaires spéciaux chargés.de réunir les matériaux his–
toriques et de les conserver. Moïse de Khorène donne
à
ces officiers le titre d'inspecteurs «
véragatzouk
»
des
mémoriaux (liv. I , ch. 21 ). H est probable que Mar
Apas Catina, qui fut chargé de recueillir les anciennes
traditions nationales, était un inspecteur des mémoriaux.
—
Ce n'était pas seulement en Arménie que les prêtres •
étaient chargés d'enregistrer les faits historiques sur des
livres conservés dans les temples, car
à
Rome, le
même usage existait depuis une époque fort ancienne
(
Denys d'Halicarnasse,
Ant. rom.,
X I , 62 ). Ce fait n'a
pas échappé
à
l'auteur de la
Vie de Jules César
(
t . I ,
p. 14, note 3 ).
Fonds A.R.A.M