I N T R O D U C T I O N .
I l nous reste maintenant à parler de la com–
pilation de Mar Apas Catina et du livre cha i -
déen dont il fit usage pour rédiger les annales
de l'ancienne Arménie (
ï
) .
Moïse de Khorène r a –
conte que le lettré syr i en , ayant été introduit
dans les archives de Ninive, trouva, parmi la
masse de documents qui y étaient conservés, un
livre portant cette suscription : «
Commencement
du livre,
»
avec cette rubrique : «
Ce livre a été
traduit du chaldéen en grec par orçlre
d'A–
lexandre; il contient l'histoire
des premiers
an–
cêtres
(2).
»
Selon M. Quatremère
(3),
cet o u –
vrage, qu'il nie avoir été traduit par ordre du
conquérant macédonien, lui paraît être un exem–
plaire du livre de Bérose. On comprend quelle
réserve est imposée à la critique, lorsqu'il s ' a –
git d'attribuer à un auteur comme Bérose,
dont les œuvres ne sont connues que par quel–
ques fragments très-peu étendus
(4),
un ouvrage
qui était déjà anonyme à l'époque où Mar Apas
le consulta. Bérose est le nom d'un historien d'o–
rigine perse, car i l est facile de reconnaître sous
la forme défigurée dans laquelle les Grecs nous
ont transmis cette appellation IïspwÇrç, le nom
de
Firouz
(5).
I l parait certain que les Grecs ont
groupé autour de l a figure de Bérose une n o –
table partie de la littérature profane de l a Cha l –
dée , et que c'est à ce personnage, dont le nom
leur était le plus familier parmi ceux des autres
écrivains de l'école babylonienne, qu'ils attri–
buaient indistinctement toutes les productions
littéraires et scientifiques d'origine chaldéenne,
ou qu'ils croyaient provenir de la même source.
E n effet, selon les traditions helléniques, Bérose
aurait non-seulement composé des livres histo–
riques, comme les
BxêuXoJvtaxà
ou
XaXSaïxa ( 6 ) ,
mais encore des traités d'astronomie et d'astro-
(1)
Le P. Karékin Djimedjian, savant mékhithariste de
Venise, dans le premier volume de son
Histoire de la
littérature arménienne
(
p.
63
et suiv., en arménien),
a consacré un long chapitre à Mar Apas Catina, où i l
rend compte de toutes les controverses auxquelles a
donné lieu la compilation de cet historien. Son travail
est fort estimable et sera consulté avec fruit.
(2)
Moïse de Khorène,
Hist. d'Arm.,
liv. I, ch.
9.
(3)
Journal des Savants
(1850),
p.
364.
(4)
Cf.
Fragm. hist. grxc,
de M. Ch. Millier (éd. Di-
dot), t. I I , p .
435
et suiv.
(5)
Renan,
Hist. des langues sémit.,
liv. m , ch.
2 ,
gp. 249,
note
7.
(6)
Fragm. hist. grxc,
de M. Ch. Mûller, t. I I , p.
495
et suiv.
logie ( i ) . E n sa qualité de principal représentant
de la culture scientifique et littéraire de l a Cha l –
dée, aux yeux des Grecs, Bérose eut bien vite sa
légende
(2),
absolument comme Orphée, qui, pour
les anciens, centralisa autour de lui la science pr i –
mitive, et dont l'individualité fut transformée plus
tard, même par les mystiques et les néoplatoni–
ciens , en un mythe surchargé de subtilités et de
rêveries dignes de figurer dans la Kaba l e . M. Qua–
tremère a donc eu le tort, selon nous, d'attribuer
à Bérose le livre anonyme découvert dans les
archives de Mithridate I
e r
par Mar Apas Catina.
Nous savons d'une manière positive que Moïse
de Khorène connaissait très-bien l'ouvrage his–
torique de Bérose, car i l le cite à plusieurs re –
prises dans son livre
( 3 ) ,
et même i l représente
aussi cet écrivain comme un traducteur des l i –
vres chal'déens en langue grecque
(4).
De tout
ceci on peut donc induire que le livre chaldéen,
mis en lumière par Mar Apas Catina, était l a
traduction en langue grecque ôï'une histoire gé–
nérale des grands empires de l'Asie centrale,
autre que celle de Bérose, d'autant plus que
Moïse de Khorène a soin de dire qu'il n'a extrait
de cet ouvrage que ce qui regardait spécialement
l'Arménie.
•
Moïse de Khorène raconte qu'au retour de
Mar Apas à la cour de Valarsace, il présenta au
roi une copie de sa compilation, écrite en c a –
ractères grecs et syriens* ( syriaques ) et que ce
prince la fit placer dans son palais, et en fit gra–
ver une partie sur la pierre
(5).
Ce renseigne–
ment est fort précieux, car i l nous apprend,
d'une part, que l'ouvrage de l'écrivain anonyme
qu'il découvrit dans les archives des Parthes, fut
traduit par lui du grec en syriaque, ou dans
cet idiome désigné sous le nom de
syro-chal-
daïque,
qui est l a transition entre la langue
chaldéenne ou nabatéenne et le syriaque. E n se–
cond l i eu , le texte de l'historien arménien peut
nous laisser encore soupçonner que les annales
de Mar Apas Catina furent vraisemblablement
traduites en arménien, et écrites avec des c a r a c –
tères grecs et syriaques, qui, nous l'avons vu pré-
(1)
Fragm. hist. grxc,
t. II, p.
495, 509.
(2)
Josèphe,
Antiq. judaïq.,
I,
3, 6.
—
Tatien,
Orat.
ado. Grxcos,
ch.
58.
—
Le Syncelle, p.
.28..
(3)
Moïse de Khorène,
Hist. d'Arm.,
liv. I, ch.
2.
(4)
Moïse de Khorène,
Hist. d'Arm.,
liv. I, ch. 2.
(5)
Moïse de Khorène,
Hist. d'Arm.,
liv. I, ch.
9.
Fonds A.R.A.M