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INTROE
ment des idées syncrétiques en Orient ( i ) , et qui
sont de création moderne, relativement aux
temps que Moïse de Khorène assigne, dans son
Histoire, au livre chaldéen traduit en grec par
ordre d'Alexandre. S i Mar Apas eût appartenu à
l'école chrétienne d'Édesse, i l n'eût pa^i anqué ,
à propos de ces êtres fabuleux, de faire vc rappro–
chement que Moïse de Khorène n ' a eu garde d'ou–
blier lorsqu'il décrit la filiation de Noé : « Japhétos,
Mérod, S i r a t , Taghl at , c'est-à-dire Japhet , Go -
mer, Thiras et Thorgom. » Mais au contraire, si
Mar Apas Catina est un Syrien païen, voisin de l'é–
poque qui précéda immédiatement l'introduction
de la foi évangélique à Edesse et rétablissement
de la célèbre école chrétienne qui jeta un s i grand
lustre dans les siècles qui suivirent, i l est impos–
sible de le faire exister, comme le veut Moïse de
Khorène, à l'époque du Parthe Mithridate I
e r
et
de l'Arsacide Valarsace. I l y a donc nécessairement
dans le récit de Moïse de Khorène, soit un anachro–
nisme inspiré par une croyance trop aveugle aux
traditions qui avaient cours de son temps parmi les
Arméniens, soit une erreur volontaire, qui aurait
son excuse dans l a nécessité où cet auteur se serait
trouvé d'établir une comparaison louangeuse e n –
tre Tsaac Pakradouni, auquel son livre est dédié, et
Valarsace, que Mar Apas Catina représente comme
un prince avide de connaître les antiquités de la
nation sur laquelle i l avait été appelé à régner.
Peut-être même Moïse de Khorène aura-t-il c ru
être véridique en disant que Mar Apas Catina était
le contemporain de Valarsace ; car, l a compilation
du lettré syrien s'arrê tant au règne d'Ardaschir I
e r
successeur de Valarsace, Moïse aura supposé que
cette raison était suffisante pour établir un syn –
chronisme entre le fondateur de la dynastie a r –
sacide d'Arménie et l'historiographe de ce mo –
narque. Cependant, malgré notre répugnance à
reprocher à Moïse de Khorène un subterfuge aussi
grossier, nous avouons que nous sommes très-dis–
posé à nous arrêter à cette dernière supposition.
E t en effet voici ce que nous écrivions dans notre
Mémoire sur les sources de l'histoire de Moïse de
Khorène
(2)
: «
Que faut-il donc voir dans la fable
de l'envoyé de Valarsace se rendant à INinive (3),
(1)
Renan,
Hist. des langues sémitiques
,
liv. m ,
ch. 2, p. 246.
(2)
Mélanges asiatiques de VAcadémie des sciences
de Saint-Pétersbourg,
t. m , p. 344-345.
(3)
On trouvera, dans les notes qui accompagnent les
JtiJLIUJN.
pour compulser les archives ? Nous croyons qu'il
s'agit d'un simple rapprochement imaginé par
Moïse de Khorène et dans un but que l'on va com–
prendre tout de suite. Comme tous les écrivains
de son école et de son siècle, Moïse, quelquefois
crédule, il faut le reconnaître, se plaisait à enre–
gistrer des faits et des données d'une authenticité
parfois contestable , et à opérer des r approche –
ments artificiels qui ne trouvent leur excuse que
dans l'absence de critique qui est le propre des
écrivains orientaux. Personne ne met plus en
doute l a fausseté des lettres soi-disant échangées
enjre le Christ et Abgar, et les théologiens eux-
mêmes les repoussent comme des documents apo–
cryphes ( i ) , qui ne sont autre chose que l'œuvre
de ces sectaires des premiers siècles, auxquels on
doit le
Testament d'Adam
(2)
et autres écrits s i n –
guliers considérés pa r les Sabiens actuels comme
des livres sacrés. Moïse, quj vivait à une époque
où ces écrits jouissaient d'une certaine faveur, et
qui ne discute pas toujours avec bonheur que l –
ques-uns des rapprochements qu'il a faits dans son
Histoire, a commis peut-être, sur la foi d'une t r a –
dition populaire, fort accréditée de son temps,
l'anachronisme qu i l'a fait si sévèrement taxer
d'imposture. Ce que nous voyons dans l a préten–
due relation de l'ambassade scientifique envoyée
par Valarsace auprès de son frère Mithridate I
e r
,
c'est tout, simplement une flatterie adressée à
Isaac Pakradouni, à qui Moïse de Khorène a dé–
dié son livre. I l le compare à Valarsace, qui aurait
chargé un lettré syrien de composer une histoire
d'Arménie, l ui (Isaac) qu i vient aussi d'engager
Moïse à rédiger les annales de l a nation. L e fait
est on ne peur plus naturel, et c'est là que réside,
selon nous , l'explication de toute cette légende
imaginée et racontée par Moïse de Khorène , si
toutefois on ne veut pas admettre qu'A ait été
dupe d'un mensonge. »
fragments de l'Histoire de Mar Apas Catina, ce qu'il faut
entendre par archives de ISfinive ; cf. plus bas, ch. IX.
(1)
Allemand Lavigèrie,
Essai sur Vécole chrétienne
d'Édesse,
p. 120 et suiv. — Il paraît que W. Cureton,
vers la fin de sa vie, voulait essayer de prouver, dans
un ouvrage qui est resté inachevé, que la correspondance
échangée entre le Christ et Abgar réunissait tous les
caractères de l'authenticité !
(2)
Journal asiatique
(1854);
cf. Renan,
Fragments
du livre gnostique, intitulé : le Testament
d'Adam.
—
Le même,
Hist. des langues sémit.,
liv. I I I , ch. 2.
p. 248.
Fonds A.R.A.M