I N T R O D U C T I O N .
larsace prit
à
tâche de remplir exactement le p r o –
gramme politique que l u i avait tracé son frère.
L'Arménie, lors de son arrivée dans ce pays, n'é–
tait régie par aucune loi ; tout y était livré à l'ar–
bitraire. Les satrapes et les toparques, maîtres
d'une partie du sol, se disputaient entre eux le
pouvoir et cherchaient à se dépouiller mutuelle–
ment de leurs domaines ( i ) . I l n'existait aucun
document relatif à leurs propriétés ; la tradition
était leseul titre que les satrapes invoquaient pour
prouver leur droit à la propriété de l a terre et des
hommes qui l'habitaient. Afin de mettre un terme
à un tel état de choses, Valarsace résolut de régu–
lariser l'organisation satrapale, de tracera chacun
des grands vassaux de sa couronne et des topar–
ques nationaux des limites territoriales qu'ils ne
devraient plus franchir, et d'assurer à tous les sa –
trapes, qu'il confirmait dans la possession de
leurs domaines, une sécurité dont ils n'avaient j a –
mais jouijusqu'alors
(2).
Dans cette vue, Valarsace
songea à s'entourer de documents authentiques.
Ayant appris qu'il n'en existait pas en Arménie,
il chargea un lettré syrien d'aller trouver son
frère Mithridate I
e r
,
et de lui demander l'autori–
sation de rechercher dans les dépôts d'archives
de son royaume les documents dont i l avait be –
soin pour mener son œuvre à bonne fin. Moïse de
Khorène raconte, dans son Histoire, que Valar–
sace, ayant distingué Mar Apas Catina^ lui confia
cette importante mission auprès de son frère
(3).
L e voyage de Mar Apas Cat ina , sa réception à
l a cour du roi parthe, ses recherches et ses dé–
couvertes dans les archives de Ninive, ont ét'é
mis en doute depuis longtemps déjà par les c r i –
tiques français. Fréret
(4)
le premier, et ensuite
Etienne Quatremère
(5),
se sont appliqués à nier
la véracité du récit de Moïse de Khorène. Qua–
tremère» surtout: n'hésite pas à déclarer que tout
ce que raconte l'historien arménien présente les
caractères d'une fable q u i , flattant l'orgueil des
(1)
Jean Catholicos,
Hist. d'Arm.,
ch. Y I I I , p.
18
et
suiv. de la traduction française.
(2)
Moïse de Khorène,
Hist. d?Arménie,
liv. I I , ch.
6, 7.
(3)
Moïse de Khorène,
Hist. d'Arménie,
liv. I , ch.
8,9.
(4)
Fréret,
Mémoire sur l'ère arménienne,
dans ses
Œuvres complètes,
t. XII, p.
187-254. —
Mémoires
de l'Acad. des Inscr. et Belles-Lettres,
t.. XLVI I , p.
98
et suiv.
(5)
Journal des Savants
(1850),
p.
364-365.
Orientaux, aura été accueillie avec transport par
Moïse de Khorène, et à son exemple par tous les
historiens de l'Arménie. D'autres au contraire
(1)
prétendent que le récit de Moïse de Khorène est
vrai dans ses moindres détails, que les objections
que Fréret et Quatremère ont soulevées au sujet
de l'existence de Ninive et des archives de cette
ville, à l'époque de Mithridate I
e r
,
et touchant le
nom de Mar Apas Catina lui-même, sont dénuées
de fondement. Sans vouloir entrer dans le fond
de ce débat, nous ferons remarquer que nous
avons déjà combattu les idées trop absolues du
savant Quatremère, et l'opinion par trop opti–
miste de son contradicteur du
Journal asiatique
( 2 ) .
Selon nous, Mar Apas Catina ne peut être qu'un
personnage appartenant à l'école naissante de la
littérature qui se développa dans les premiers
siècles de notre ère, sous le nom de syriaque.
Toutefois nous sommes loin d'admettre l'opinion
de M. Renan , qui veut que ce personnage soit un
chrétien
(3).
E n effet, dans les fragments de cet
écrivain, que Moïse de Khorène nous a transmis,
on ne trouve pas un seul passage qui révèle la
moindre pensée chrétienne; on n'y rencontre pas
non plus de traces d'une réminiscence biblique ;
au contraire, on y voit dominer le sentiment
d'une époque païenne et particulièrement les idées
du mazdéisme.
D'après le livre compilé par Mar Apas Catina et
résumé par Moïse de-Khorène, la terre a com–
mencé par être peuplée d'êtres fabuleux, de géants
en lutte ouverte avec les dieux, qui confondent
leur orgueil en renversant la tour au moyen de
laquelle ils voulaient tenter l'escalade des cieux.
On sent là qu'un syncrétisme très-prononcé s'est
produit dans l'esprit de l'auteur du livre compilé
par Moïse de Khorène, et c'est pour nous une
preuve que cet ouvrage ne fut pas écrit bien long–
temps avant l'ère chrétienne. E n effet, Mar Apas
nomme les géants Zérouan, Titan et Japétos, per–
sonnages fort en vogue à l'époque du développe-
(1)
Journal asiatique
(1852) ;
Étude sur les chants
historiques de l'Arménie,
p.
19-21,
note I .
(2)
Cf. notre
Étude sur les sources de Moïse de
Khorène,
dans les
Mélanges asiatiques de l'Acad. des
sciences de Saint-Pétersbourg,
et dans le
Bulletin
de la
même Académie, t. m , p.
531
à
583.
(3)
Renan,
Hist. des langues sémitiques,
liv. I I I ,
ch.
3,
p.
262-263.
Fonds A.R.A.M