DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
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ne s'étendait que sur une partie du pays, et notamment sur les littoraux où les
Hellènes avaient établi des colonies ou des comptoirs, elle réduisit à un rang
secondaire les idiomes parlés dans les différentes localités où s'exerça l'activité
commerciale du peuple grec. Ainsi, par exemple, en Syrie, en Judée et dans
la Basse-Egypte, le grec s'érigea en langue littéraire et savante, et disputa le
terrain aux idiomes, nationaux qu'elle ne put faire entièrement disparaître.
Lors de sa plus grande extension, la langue grecque était parlée de la S i –
cile aux rives du Tigre, de la Mer Noire à l'Abyssinie. Ce développement
extraordinaire d'une langue, d'abord resserrée dans deâ limites géographiques
assez étroites et qui gagna des contrées fort éloignées de son point de départ,
est assurément l'un des plus curieux phénomènes que les fastes du langage offrent
aux méditations de l'observateur. Originairement, le grec était l'idiome parti–
culier d'un petit peuple issu de la grande famille arienne ; plus tard i l devint la
langue officielle et savante de toutes les nations avec lesquelles les Grecs se trou–
vèrent en rapports, et le développement qu'il acquit est la preuve manifeste
de sa supériorité sur les idiomes indo-européens et sémitiques qu'il parvint à
dominer, lorsqu'il n'arriva pas à les éliminer complètement. M. Renan observe,
avec beaucoup d'à propos, qu'un phénomène analogue s'est produit durant
tout le moyen-âge, pour une des langues appartenant à la famille des idiomes
sémitiques, l'arabe , avec cette différence, toutefois, que si l'extension de ce
dernier idiome a été plus grande et plus rapide que celle du grec, i l n'est point
parvenu cependant à s'imposer victorieusement aux populations soumises durant
des siècles à la domination de l'Islam
(
i ) .
Les développements acquis par la
langue grecque, la vulgarisation des chefs-d'œuvre de sa littérature, ont eu
pour résultat d'exercer une action civilisatrice et bienfaisante sur le génie des
peuples où cette langue s'est plus particulièrement exercée ; tandis que l'arabe,
malgré les efforts des conquérants musulmans, n'a pu réussir à annihiler l'effet
produit, plusieurs siècles auparavant, par l'influence de l'idiome hellénique.
Une des causes de l'action décisive exercée par le grec sur les autres idiomes,
avec lesquels i l se trouva en contact, est la répulsion marquée que le peuple grec
témoigna à toutes les époques, pour l'étude et la pratique des langues étran–
gères. Les Grecs, regardant comme un privilège tout spécial de parler la langue
nationale, n'ont jamais songé à se familiariser avec les idiomes des peuples bar–
bares, «
Y
Aw<y<7ot( 2), avec lesquels ils furent en relations; et cette indifférence qu'ils
témoignèrent pour les langues étrangères n'a pas été une des moindres causes
des développements que leur propre idiome a acquis dans les contrées où les
Grecs étaient entraînés par l'esprit de conquête ou de commerce. On signale
(1)
Renan,
Hist. des lang. sémit.,
p. 389.
(2)
Les Slaves désignent les peuples qui ne sont pas de leur race et ne parlent point leur langue,
sous le nom de
niemché
«
muets ». C'est cette épithète que les populations de race slave donnent en–
core aujourd'hui aux Allemands, parce que ces derniers ne parlent et n'entendent point l'idiome slave.
—
Cf. ma traduction de la
Chronique de Michel le Syrien
,
en cours de publication à Saint-Lazare de
Venise, p. 211, note 3.
b
Fonds A.R.A.M