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D I S COURS PRÉLIMINAIRE.
Lorsque l a littérature arménienne, par suite de l'adoption des caractères
alphabétiques appropriés à son idiome, eut repris le dessus sur les littératures
grecque et syriaque , on vit se manifester tout à coup un phénomène bien digne
de fixer l'attention des philologues. L a langue arménienne, qui n'était plus em –
ployée que par le peuple et avait été réduite, pendant plusieurs siècles, à l'état
d'idiome vulgaire, devint la langue sacrée et savante du pays. L e clergé armé–
nien avait compris, en effet, que pour répandre les lumières de l a foi nouvelle
parmi le peuple, il fallait de toute nécessité employer le langage qui lui était
familier. Or le grec et le syriaque n'étaient compris que des prêtres, et les po–
pulations montraient peu d'empressement à se livrer aux pratiques du nouveau
culte, dont les ministres, syriens pour la plupart, employaient leur langue pour
célébrer les mystères de la foi.
Pendant près d'un siècle, c'est-à-dire depuis la conversion du roi Tiridate et
l'apostolat de saint Grégoire, jusqu'au temps de Vram-Schapouh et de Mesrob,
les écoles qu'on avait ouvertes en vue de populariser l a religion du Christ ne
formaient que des prêtres habiles dans la lecture des textes grecs et syriaques.
Pour être admis dans les ordres sacrés, la connaissance du syriaque était i n –
dispensable. Agathange ( i ) , Zénob de Glag (2), Gorioun (3) et Vartan (4) attes–
tent ce fait dans leurs écrits. L e clergé national reconnut l'imperfection de
celte méthode et résolut de donner une impulsion toute nouvelle à l'étude de
la langue arménienne, afin de mettre un terme à l'omnipotence des prêtres s y –
riens. Pour l u i , i l ne suffisait pas de prêcher la foi nouvelle, i l fallait, pour la
faire accepter, qu'on formât et qu'on éclairât les esprits. Cette éducation ex i –
geait le concours de l a science; mais l'absence de caractères alphabétiques,
propres à la langue arménienne, rendait cette tâche extrêmement difficile. C'est
alors que Mesrob. conçut l a pensée de doter sa nation d'une écriture qui per –
mettrait de transcrire avec facilité tous les mots de la langue arménienne.
Cette innovation n'avait d'ailleurs rien de blessant pour les Arméniens, car l'é–
criture est regardée, chez les Orientaux, comme une institution religieuse.
Ludolf a observé avec beaucoup de justesse que l'initiation d'un peuple barbare
à une foi nouvelle est d'ordinaire suivie de l'introduction de l'alphabet, où d'un
changement dans le caractère national ( 5 ) .
On a beaucoup disserté sur l'histoire de l'invention des caractères arméniens.
L'incertitude et le merveilleux qui planent dans les récits des Arméniens,
même contemporains de l'invention, ont donné lieu à des divergences d'opinion
très-tranchées. Cependant, si Ton écarte de leurs relations les interventions m i –
raculeuses qui présentent tous les caractères d'une légende, on parvient à se
(1)
Hist. de Tiridate;
cf. plus loin, p. 179.
(2)
Hist. de Daron;
cf. plus loin, p. 337.
(3)
Biographie de Mesrob.
(4)
Hist. univers,
(
en arm.). Venise 1862, p. 51 et suiv.
(5)
Ludolf,
Hist. xthiop.
}
liv. IV, ch. I ,
inii.
Renan,
Hist. gén. des lang. sémit.
(3
e
édit. 1803),
p. 202.
Fonds A.R.A.M