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INTRODUCTION.
qu'au contraire le texte grec présente des diffé–
rences sensibles avec l'arménien, et paraît en
être la version due à un traducteur qui n'aurait
pas toujours rendu avec fidélité le sens du do–
cument qu'il avait sous les yeux. L'opinion des
savants Mékhi taris tes, en ce qui concerne les
deux textes de l'Histoire d'Agathange qui nous
sont parvenus, est à l'abri de toute critique.
Mais ce point établi ne constitue qu'un côté de
la question; et, après avoir fait une étude appro–
fondie des deux textes arménien et grec qui nous
ont été conservés, nous avons cru découvrir que
ces deux rédactions ne sont pas l'œuvre originale
d'Agathange et qu'elles ont dû être précédées
d'un texte plus ancien qui a disparu aujourd'hui.
Ce qui nous fait supposer l'existence d'une pre–
mière rédaction de l'Histoire du secrétaire de Ti –
ridate , c'est la présence, dans les deux textes
bilingues que nous possédons, d'une notable
quantité d'interpolations, indiquant un remanie–
ment général de l'œuvre d'Agathange, et la men–
tion de personnages historiques qui ont vécu un
siècle et demi après l'époque où florissait notre
auteur. E n outre, dans les deux rédactions qui
nous sont parvenues sous le nom d'Agathange,
le secrétaire de Tiridate se sert d'expressions tel–
lement peu en rapport avec le respect dû à, la
majesté du roi d'Arménie, qu'il n'est pas possible
d'admettre qu'un historien chargé par son sou–
verain d'enregistrer tous les actes de sa vie, ait
pu rédiger une biographie aussi peu édifiante de
son maître, avant sa conversion au christianisme.
Enfin, i l est impossible d'admettre qu'Agalhange
ait pu dire qu'il fut témoin oculaire des événe–
ments et des prodiges qu'il raconte, et qu'il soit
l'auteur de cette longue digression renfermant
toute l'exposition de la doctrine de S . Grégoire
l'Illuminateur, qui n'a dû être coordonnée et ré–
digée dans les termes qui nous ont été transmis,
qu'à une époque où la foi chrétienne avait jeté
déjà de profondes racines dans l'Arménie.
Toutes ces raisons nous autorisent donc à sup–
poser que les textes bilingues de l'Histoire d'Aga–
thange que nous possédons actuellement sont
l'œuvre d'un écrivain chrétien postérieur, qui
aura fait subir à l'ouvrage original du secrétaire
de Tiridate une transformation complète. En
effet, l'Histoire d'Agathange, telle que nous la
lisons aujourd'hui dans les deux textes arménien
et grec, est bien plutôt l'œuvre d'une hagiographe,
qui a voulu retracer le martyre de S. Grégoire,
celui de sainte Hripsimé et de ses compagnes,
qu'une histoire particulière du premier roi chré–
tien de la Grande-Arménie. Au surplus, les
doutes que. nous émettons sur l'authenticité de
l'Histoire d'Agathange avaient déjà été énoncés
par le cardinal Baronius, et par les PP. Pape-
brocket Stilting, dans les
Acta Sanctorum
(
i), qui
firent de grandes réserves touchant l'authenticité
des faits rapportés par le secrétaire de Tiridate.
I l est fort difficile, dans l'état actuel de nos
connaissances, de se faire une idée bien nette des
raisons qui firent préférer par les Arméniens le
texte remanié d'Agathange à la composition ori–
ginale de l'auteur. Pour ce qui est de l'époque
de la seconde rédaction, i l semble qu'elle a du
être entreprise au commencement du cinquième
siècle, c'est-à-dire au moment où la littérature ar–
ménienne acquit les développements considérables
dus au zèle des « saints traducteurs. » En effet, au
commencement du quatrième siècle, un des pre–
miers annalistes arméniens, Zénob de Glag, dont
l'Histoire fut d'abord écrite en syriaque,
eut sous
les yeux le texte original du livre d'Agathange,
différent de celui qui nous est parvenu, comme on
peut s'en convaincre en comparant le passage où
cet historien renvoie au livre du secrétaire de T i –
ridate , passage qu'on chercherait vainement dans
les deux textes que nous possédons (2).
On ne saurait induire du témoignage de Lazare
de Pharbe, écrivain du cinquième siècle qui , au
commencement de son Histoire, parle assez lon–
guement de celle d'Agathange, si cet annaliste a
eu sous les yeux le texte original du secrétaire de
Tiridate ou bien la seconde rédaction. Cependant
nous sommes disposé à croire que déjà, du temps
de Lazare, le texte primitif d'Agathange avait
disparu, car il semble faire allusion plutôt à la se–
conde rédaction qu'au texte original, puisqu'il
désigne l'histoire de Tiridate sous le nom de « L i –
vre de S. Grégoire (3) », ce qui impliquerait déjà
(
t) Septembre 30, t. VIII de la collection des Bollan-
distes ; préface, et
passim.
(2)
Le passage de Zénob est ainsi conçu : « Plus tard,
«
Dertad ( Tiridate ) , étant chez les Grecs ( les Romains),
«
s'empara de luh( Hratché ) , car il avait fait la guerre
'
< contre Dioclétien, roi des Grecs, à ce que raconte
«
Agathange. » (Cf.
Histoire de Daron,
pag. 22 du
texte, et 29-30 de la Irad. fr. )
(3)
Lazare de Pharbe,
Histoire d'Arménie
,
pag. 7.
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Fonds A.R.A.M