un enfantin joujou, jusqu'à la flotte qui semble prolonger la ville jus–
qu'à la mer. Au delà, le grand horizon bleu pâle de l'océan étend son
rêve... Pourtant, comme elle devait être douce ici, la vie; quel asile de
joies simples et de paix charmante retiré au cœur de la montagne et
enfoui sous les arbres, sous ces arbres et ces vignes qui pendent par
places maintenant en guirlandes brûlées. Je ne me souviens pas d'avoir
rencontré jamais de site plus idyllique ; on pourrait seulement repro–
cher à celui-ci d'être presque trop joli, trop arrangé, avec sa montagne,
ses nids de verdure, ses ruisseaux d'eau diamantée, sa vue infinie vers
la mer. Mais quel constraste entre ces ruines désolées et leur cadre
presque intact d'arbres en fleurs ou en fruits, et de vignes grimpantes.
A travers les vergers, les jardins, les sentiers de printemps, hier si
fréquentés, aujourd'hui déserts, je m'avance vers d'équivalents spec–
tacles. Mêmes débris partout : murs seuls debout, noircis ou crou–
lants; décombres intérieurs couvrant peut-être des cadavres; ruines
chaudes encore et par endroits brûlant les pieds. Puis l'horrible
éloquence des petits détails : humbles placards fouillés, brisés ;
lamentables chiffons qui furent des robes et gisent déchirés, brûlés,
épars. Et sur les murs blanchis, parfois, une fusée de gouttelettes
brunes qui sont du sang... Pas un meuble, pas une planche sauve : on
a tout brûlé, brisé, enlevé, et tant furent grandes la fureur et la haine
qu'on a mutilé même des arbres.
Dans les murs, des trous béants où les incendiaires ont cherché des
trésors absents : hélas I tout le trésor de ces pauvres gens c'était la
tranquillité de leurs foyers heureux. Là gisent quelques colonnettes de
marbre, utilisées comme soutiens, témoins mélancoliques des civilisa–
tions passées qui s'établirent un jour aussi dans ce site exquis, épaves
de désastres semblables à travers le temps. Et sur toutes ces ruines
noircies et béantes tombe du ciel profond un épouvantable silence ; rien
ne vit plus, rien ne vit plus quand on écoute, que les petits grillons de
l'âtre sous les pierres ruinées...
Maintenant, je traverse les ravins vers un autre hameau qui se dresse
en poste d'aigle sur une saillie de la montagne. Depuis deux semaines
que nul n'y passe plus, le mince sentier est presque recouvert par l'ex–
pansion folie de la végétation printanière. Buissons de chênes-verts,
viornes, érables aux feuilles étoilées, taillis de lauriers-roses barrent
la route ; il faut écarter ou briser les frêles liens végétaux, les caresses
de verdure qui se sont jointes. Repris un instant par le charme du lieu,
je m'arrête à entendre au fond de ce gouffre d'exubérante végétation
un ruisseau cascader sur les pierres avec des intonations de flûte.
Hélas! ironie des constrastes, c'est dans ce paysage enchanteur, au
milieu des buissons d'églantiers et de lauriers-roses qui sembleraient
Fonds A.R.A.M