et partout où il se trouve en concurrence commerciale avec le Turc, il
l'écrase. Celui-ci, plus négligent ou moins habile, trouve que le
meilleur moyen de rétablir l'équilibre, c'est de piller de temps à autre
son concurrent. Or, dans ce pays, piller c'est tuer. Avouons au demeu–
rant que si l'Arménien a des qualités de sérieux, d'honnêteté, de
travail, il est en général — il y a de nobles exceptions — fort peu
sympathique. Race dure de caractère, même pour ses frères, sans
générosité, âpre au gain, avare, faisant de l'or tout son idéal, méritant
bien ce proverbe d'un cours journalier en Orient : « Un Grec vaut
deux Arabes, un Juif vaut deux Grecs, un Arménien vaut deux Juifs ».
Shylock n'était pas un Juif, car un Juif eût été trop lâche pour couper
la livre de chair, un Arménien l'eût fait, je pense, sans hésiter. Mais si
la sympathie ne vient pas à cette race naturellement, ses souffrances
sans pareilles lui valent la plus profonde compassion.
Vivant avec une perpétuele menace sur la tête, les Arméniens
devraient éviter tout sujet de susceptibiliser leurs ombrageux voisins,
toute cause de conflits. Pour être impartial, avouons qu'ils n'ont pas
su entièrement s'en garder. L'assurance que donne l'argent, facilement
les rendait orgueilleux et hautains, et, dans les derniers temps, un
certain mouvement d'effervescence arménienne se manifesta, qu'il faut
savoir reconnaître et juger.
Ici, se place le rôle de l'évêque grégorien d'Adana (1), qui assume
une part de responsabilité, minime, je le veux bien, et inconsciente, —
mais cependant réelle dans les terribles événements. MgrMouchegh est
un homme tout jeune, fort élégant, portant — outre son anneau pas–
toral — chevalière au petit doigt et à la chaîne de montre une croix
épiscopale réduite à la grandeur d'une breloque; il s'impose par un
visage admirablement beau. Quoiqu'il ait un peu les apparences du
joli jeune homme à marier, je m'empresse d'ajouter que la calomnie
ne s'est jamais, que je sache, attaquée à sa personne. Véritable intelli–
gence d'ailleurs, doublée d'une grande activité, ayant fait beaucoup
pour ses écoles et ses séminaires et très aimé de ceux qui l'entourent.
Mais, en somme, ayant bien plus le caractère d'un chef de parti que le
caractère d'un évêque.
Rêvait-il réelement de libérer son peuple de la domination turque,
c'est possible. Comme preuve, on a beaucoup parlé d'une photographie
le représentant en roi d'Arménie, ce qui semble tout d'abord un peu
bien compromettant; mais lorsqu'on ajoute qu'il était flanqué du phar–
macien d'Adana en grand costume de vizir, on admettra volontiers que
(
t) L'évêque d'Adana, comme presque toute la population arménienne, est
schisma-
tique.
Fonds A.R.A.M