A U P A Y S D E S M A S S A C R E S
vengeance et de haine religieuse. Les représailles, comme on pense,
ne se firent pas attendre. Deux chrétiens sont tués le lundi de Pâques,
le lendemain, un au t r e ; des gens prudents quittent la ville. Le 13 avril
se passe dans un calme appa r en t ; on croit à une simple vengeance. Le
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arrive, dès le matin plusieurs Arméniens sont massacrés. Grand
émoi et, comme au moindre trouble dans un pays sans police et où les
violences sont fréquentes, la vie commerciale s ' ar rê t e ; les étalages
sont précipitamment rentrés, les boutiques fermées, les verrous
grincent. Une députation se rend chez le vali pour lui demander
justice et protection; ce misérable, âme damnée d'Abd-ul-Hamid et
ancien chef de sa garde , parle d'assassinats accidentels; et c'est là
l'horrible de son rôle, à lui qui sait tout et qui a tout préparé, il
conjure d'éviter une panique, de ne pas suspendre la vie économique,
engage à rent rer tranquille chez soi, à rouvr i r ; prie, console, rassure,
et beaucoup rouvrent, les malheureux 1
A midi juste, — au moment où l'angélus tintait chez les Jésuites, —
éclate soudain, à un mot d'ordre, une fusillade terrible dans les bazars.
A travers les rues, des gens sanglants fuient affolés, droit devant eux,
et sur leurs talons, les Turcs se ruent haletants déjà d'ivresse, le front
ceint du sinistre turban blanc, qui leur sert à se reconnaître. Ceux qui
peuvent parvenir au quartier arménien,
dans la ville, s'enferment
chez eux, le cœur battant derrière la porte. La fusillade crépite; tous
ceux qui se trouvent hors du quartier, soit dans leurs boutiques aux
bazars, soit dans les rues en course, sont tués sans exception, sans
pitié. On s'acharne sur eux, on les traque toute l'.après midi . . . Vers le
soir cependant une accalmie; après la joie de tuer, le bonheur de
piller, — tout l'idéal de la brute orientale. Hommes, femmes, enfants
se chargent à qui mieux mieux de marchandises et de dépouilles, et
courent les bras pleins d'étoffes précieuses, empor t ant tout, ne laissant
rien, rien, rien.
Les soldats, où sont-ils? Au premier rang de la tuerie et du pillage,
et le gouverneur laisse s'accomplir un coup si bien préparé.
Dès le soir même du massacre, quoique n'ayant là aucun national,
le consul d'Angleterre était sur les lieux; et le lendemain et les jours
suivants, soit chez le vali, soit dans les rues, qu'il parcourt à cheval, il
se multiplie. Peut-être, s'il eût été secondé par ses collègues, eût-on
pu arrêter les massacres aussitôt, d'aucuns l'ont c r u ; mais à la honte
commune et particulièrement à la nôtre, qui avions deux écoles et
plusieurs nationaux à protéger, il reste seul, personne ne se souciant
de le rejoindre. On croirait qu'un consul, et surtout un consul de
France , est là pour payer de sa personne dans ces circonstances
tragiques; c'est une er reur . Un de ces personnages consulaires
Fonds A.R.A.M