de toute une ville, les faits eux-mêmes enfin : gerbes de flamme,
coulées de sang, cris de lutte et de mort, et, la nuit, le bruit sourd des
portes défoncées, puis les plaintes, et non pas les résultats : ruines
refroidies déjà et silencieuses. Et je comprends alors ce mot qui
m'avait choqué, je l'avoue, d'un des religieux qui ont si vaillamment
porté le poids, non de leurs propres angoisses, mais de tous ceux qu'ils
avaient recueillis... « Revivre ces journées-là I j'aimerais mieux mourir
tout de suite ».
...
Eh bien ! les revivre, nous, essayons-le, non dans toute leur a t ro–
cité, car il est des choses qu'on entend là-bas, dans la fièvre de surexci–
tation générale, et qu'on ne saurait ni écrire, ni même redi re , hor reur s
qu'on voudrait chasser de son souvenir, et qui vous hantent à j ama i s ;
non, mais au moins dans ses grandes lignes refaisons l'historique de
ce nouveau massacre, avant d'en chercher les responsabilités.
Arméniens et musulmans vivaient en bons termes, ces derniers
plutôt soyus la dépendance des autres, qui tenaient tout le haut
commerce et représentaient l'élément travailleur et riche de la ville.
Si grande était la sécurité, même dans la campagne, qu'une femme
pouvait s'y promener seule à toute heure, qu'une jeune fille pouvait
aller tranquille aux vignes. Bien plus, un travailleur musulman
supportait d'être frappé par un contre-maître arménien, et les temps
semblaient à tout jamais oubliés où les chrétiens devaient s'incliner en
passant devant le Turc ou lui céder l'ombre. Cependant une certaine
effervescence musulmane se manifesta, causée par quoi, préparée par
qui, nous le ve r rons ; si bien constatée, d'ailleurs, quoiqu'elle s'efforçât
de rester secrète, que l'évêque grégorien, outre des avertissements
personnels au vali ou gouverneur de la province, crut bon d'en
prévenir directement les autorités turques de Constantinople. Certains
journaux publièrent même sa lettre, mais on prit bien garde d'en tenir
compte.
L'occasion nécessaire au mouvement pour aboutir, fut ici le meur t re
de deux Turcs par un j eune Arménien. Deux fois outragé et attaqué
par ces mêmes Turcs, deux fois éconduit de chez le gouverneur avec
un déni de justice, il s'était, faute de mieux, décidé à se la faire lui-
même. A la troisième occasion, il sortit son revolver, tua l'un des
agresseurs raide, blessa l'autre mortellement et prit la fuite. Malgré
les circonstances atténuantes, ce meurtre de deux Turcs par un
chrétien causa dans le parti musulman une émotion considérable. A
l'enterrement du blessé, qui mourut au bout de quelques jours, les
imans prononcèrent de violents discours, surexcitant les passions de
Fonds A.R.A.M