AU PAYS DES MASSACRES
demande, celui où traqués, brûlés, fusillés, vous vous voyez livrés à
des supplices affreux, et vos femmes, et vos filles, et vos sœurs exposées
aux plus épouvantables violences...
...
Il y a autour d'ici des ambulances établies par les autorités
turques, le consul d'Angleterre, les Pères Jésuites, les Sœurs fran–
çaises. J'en visite une, mais ce ne sont pas les plaies qui sont les plus
horribles misères, ni les souffrances les plus grandes douleurs. Pour–
tant voici un pauvre enfant auquel on fait l'extraction d'une balle sans
doute, et qui pousse des cris impressionnants comme si on le tuait. Et
je songe qu'il y a eu des clameurs faites de milliers de cris semblables,
et plus terribles encore, car la voix de l'enfant reste douce, mais com–
bien plus tragique est le hurlement suprême de l'homme ! Les Sœurs,
qui ont vécu des heures bien terribles, elles aussi, mais semblent
l'avoir oublié, passent admirables de douceur, dévoilant les plaies
mais les calmant d'un mot, d'un sourire : « Tenez, ce petit de quatre ans
qui, comme un vétéran, a son coup de baïonnette au côté ».
D'hommes, peu ou point, car il n'y a pas eu de quartier, et quant
aux femmes, dit la sœur, en me montrant un groupe de faces livides,
«
voilà, vous comprenez »...
Oui je comprends... et je m'en vais; je vais au quartier arménien,
croisant de larges brutes aux têtes ignobles, qui ont commis toutes ces
horreurs, et dont les yeux orgueilleux et féroces s'en vantent; puis des
soldats en guenilles, pieds nus dans des babouches, visages de bandits.
Il est midi ; du haut d'un minaret, un muezzin chante ; s'il ne félicite pas,
comme lors les massacres de Sivas, le peuple d'avoir bien massacré,
du moins il clame avec un tremblement de fougue la gloire d'Allah.
Voici le quartier brûlé : Eh bien I c'est vraiment pire que ce que
j'avais pu imaginer, ce sont de ces effroyables réalités qui dépassent
toute conception. Voici un quartier, et ce quartier était une ville, com–
plètement détruit, en totalité et dans chacune de ses parties ; pas une
maison intacte, et dans chaque maison plus un toit, ni une porte, ni
une fenêtre, ni un escalier, ni un pallier, ni un meuble. Des murs
livides béants par en haut et par toutes leurs ouvertures, sur le ciel
d'azur ; à l'intérieur, l'effondrement en collines de décombres informes.
Accrochées en l'air ou sortant des cendres, des solives calcinées, des
poutres de fer tordues, des rampes d'escalier en tire-bouchon, des lits
de fer dorés qui sont devenus de la vieille ferraille. Et ne vous ima–
ginez pas des cahutes orientales de briques et de boue efondrées
ainsi, mais de belles maisons de pierre, des demeures de riches, des
constructions à l'européenne, et même des monuments : le palais épis-
copal, le collège des Jésuites, l'école des sœurs de Saint-Joseph, le
collège arménien, l'église arménienne, le temple protestant, la mission
Fonds A.R.A.M