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Djemal bey, a risqué sa vie pour maintenir l ' o r d r e
et, au plus fort des t roub l es , i l n'a pas cessé de
v i s i t er et de réconforter les Arméniens réunis dans
les églises et les écoles. Le préfet de Lattakièh a
sauvé la v i l l e d ' un massacre. Le gouverneur géné –
ral de Harpout a pu retarder l'exécution d ' un p r o –
j e t d ' ext erminat i on de tous les Arméniens, jusqu'à
ce que ce fût t r op t a r d pour qu'on tentât de l e
réaliser. En revanche, de nombreux représentants
de l'autorité ont pactisé, quand i l s ne les ont pas
menés eux-mêmes, avec ces innombrabl es tueurs
d'hommes qu i ont répandu le sang, non seulement
dans un accès de fanatisme, mais de propos déli–
béré et avec une cruauté f ro ide .
En t out ceci, ce qu i impressionne plus encore
que le massacre dans les villages, c'est cette effré–
née chasse à l ' homme à laquelle les musulmans se
sont livrés dans les montagnes, où i l s p o u r s u i –
vaient les fugitifs jusque dans les grottes et les
cavernes, dans la plaine, où i l s les traquaient, par
les grandes routes , à travers les champs, en l an –
çant parfois des molosses à leurs trousses. P l u –
sieurs semaines après, les voyageurs pouvaient
apercevoir en bordure des routes et des sentiers
des ossements blanchis ; d ' innombrabl es v i c t imes
n ' eurent d'autre sépulture que la poussière des
chemins ou les pierres des précipices. D'autres
furent dévorés par les chacals et les oiseaux de
proie, et une Arménienne a pu écrire dans une
lettre privée, qu i n'était po i nt destinée à la p u b l i –
cité, ce mot effrayant :
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Fonds A.R.A.M