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Mon télégramme, du 24 de ce mois, a mis Votre Excellence au courant de l'ac–
cueil que les Ambassadeurs firent à cette proposition. Pour ma part, je considérais
comme un devoir absolu d'intervenir en vue d'une chute éventuelle de la place, pour
protéger les 200 familles arméniennes catholiques et nos religieux de Yenidjékalé
(
près Marache), que l'autorité turque affirmait s'être réfugiés à Zeïtoun après la des–
truction de leur couvent.
A peine eus-je reçu les instructions de Votre Excellence que mes Collègues se
réunirent à l'Ambassade pour aviser aux moyens de donner une forme pratique à
notre intervention, au sujet de laquelle la Porte et le Palais avaient été pressentis la
veille par l'Ambassadeur d'Autriche, notre doyen.
Au début de la réunion, l'Ambassadeur de Russie nous annonça qu'il venait du
Palais.
Le Sultan l'avait prié de s'y rendre d'urgence et avait abordé de lui-même la ques–
tion de Zeïtoun. Prévenue par la Sublime Porte des intentions des Ambassadeurs,
Sa Majesté désirait savoir en quoi elles consistaient au juste. I l ne fallait pas oublier
que les Zeïtounlis étaient des insurgés; ils avaient repoussé les propositions et les
garanties que leur avaient offertes, au nom du Gouvernement, des notables de leur
communauté : i l fallait donc que les coupables fussent châtiés. I l avait du reste r e –
nouvelé le jour même ses instructions pour que les innocents ne fussent pas mo –
lestés.
M. de Nélidoff l u i expliqua sommairement comment les Ambassadeurs avaient
songé à offrir leurs bons offices au Gouvernement en ménageant une capitulation et
en certifiant par l'envoi des délégués spéciaux, la réalité des garanties offertes à la
population.
L'Ambassadeur de Russie quitta le Sultan avec l'impression que Sa Majesté était
désireuse d'utiliser nos bons offices et i l nous apportait cette nouvelle avec une visible
satisfaction.
L'Ambassadeur d'Angleterre qui était entré dans mon cabinet pendant ce récit,
laissa M- de Nélidoff l'achever puis tira de sa poche un télégramme daté du matin
et annonçant la prise de Zeïtoun! Presqu'au même instant, le premier Drogman de
mon ambassade rapportait la même nouvelle du Conak du Ministre des Affaires étran–
gères, chez lequel je l'avais envoyé une heure auparavant.
Les troupes avaient pris le fortin, mais en y mettant le feu, et la moitié de la place
était en leur pouvoir; on attendait la nouvelle de sa reddition totale.
Cette nouvelle est confirmée par un télégramme de notre Agent à Mersine, m'an–
nonçant ce matin que Zeïtoun a, en effet, capitulé et que près de 3 , 000 Arméniens
ont été massacrés.
Si le Sultan connaissait cette nouvelle, on peut se demander pourquoi i l avait ré–
clamé l'intervention des Ambassades.
P. CAMBON.
Fonds A.R.A.M