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Voilà quel fut le triste sort d'Orfa, on n'y trouve plus aucune sûreté, car, chaque
j our de nouvelles victimes sont encore faites.
A Biredjik, i l n'y a plus aujourd'hui un seul chrétien ; tous ceux qui n'ont pas été
mis à mort ou jetés dans l'Euphrate ont dû embrasser la religion islamique.
Les ventes de femmes ou de jeunes filles chrétiennes continuent ici et à Biredjik
à vil prix sur les places publiques ; plusieurs femmes et enfants couchent en plein
air sur les ruines du quartier arménien dont la vue offre le spectacle le plus navrant.
Jusqu'à présent, l'autorité locale ne prend aucune mesure, même apparente, pour
faire cesser l'hostilité des Turcs contre le petit nombre d'Arméniens qui restent
vivants à Orfa.
N° 63.
Le Consul de la Nation portugaise à Alep,
à Son Excellence M. l'Ambassadeur d'Italie, à Constantinopie.
Alep, 29 janvier 1896.
J'ai l'honneur de tracer à Votre Excellence le récit verbal qui m'a été fait par
quelques personnes venant d'Orfa sur les douloureux événements des 28 et 29 dé–
cembre dernier, survenu peu de jours après le désarmement de la population
chrétienne.
Dans la matinée du samedi 2 8 , des Musulmans conseillèrent à leurs amis chrétiens
de se retirer du marché et de rentrer chez eux, car on complotait un massacre dans
la journée. En effet, vers midi un attroupement considérable se forma à Telféder,
quartier musulman dominant le quartier arménien, et à la suite d'un signal donné par
un réserviste de la citadelle voisine, des hordes innombrables de Musulmans et de
réservistes sous les armes envahissent le quartier arménien par quatre points différents.
Les portes des maisons furent enfoncées à coups de hache et les habitants impitoya–
blement égorgés. C'était naturellement un sauve-qui-peut pour les assiégés qui
fuyaient par les terrasses ou se jetaient dans les puits dans l'espoir d'échapper à la
mort. Les émeutiers fouillaient les maisons dans tous les coins et jetaient dans les
caves des matières inflammables pour brûler avec les bâtiments en bois les malheu–
reux qui y étaient renfermés. Le carnage dura jusqu'au lendemain à mi d i et n'a cessé
que quand i l n'y avait plus de victimes à immoler. La populace s'est ensuite livrée au
pillage et ne s'est arrêtée que quand le clairon eût sonné l'appel des réservistes.
Durant les massacres, les femmes musulmanes poussaient des cris d'allégresse des toits
de leurs maisons, encourageant les hideux assassins.
L'église arménienne, où plus de 2 , 500 personnes (femmes, enfants, veillards)
s'étaient réfugiés, a été incendiée avec le pétrole, et , sauf une cinquantaine de per–
sonnes qui ont pu atteindre à temps la toiture, tout a péri. Dans les caveaux de
l'église, 4oo personnes furent asphyxiées.
On assure, Exellence, que le Mollah Seid Ahmed, Scheh de la dervicherie, aurait
Fonds A.R.A.M