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commencé lui-même le massacre en égorgeant de ses propres mains un Arménien
qu'il a étendu à terre et saigné en récitant le verset rituel que les Musulmans pronon–
cent à haute voix à chaque sacrifice. Déjà, depuis jeudi 26 décembre, ce même
Mollah Ahmed aurait sur la place dite
Kala-Boini,
réuni les notables musulmans en les
exhortant à tuer les Arméniens qui étaient rebelles à l'autorité du Sultan et qu'on
devait exterminer comme ennemis de l'Etat.
On raconte qu'un groupe d'émeutiers, ayant attaqué une maison où se trouvaient
1 5
o Arméniens en auraient massacré 1 20 et suspendirent leur fureur exterminatrice
au son du clairon parti de la citadelle. Une trentaine d'individus eurent ainsi la vie
sauve. Les maisons et les boutiques arméniennes ont été toutes saccagées et les objets
difficiles à transporter brisés.
Le l und i , quelques piquets de soldats disséminés dans les quartiers musulmans ont
suffi pour empêcher de nouveaux excès et 1 3 gendarmes postés aux alentours des
établissements français et américains ont suffi pour les protéger contre toute
agression.
Le mardi 3 i décembre, un crieur public intimait à la population musulmane de
consigner à l'autorité les jeunes Arméniennes enlevées:
Trente furent remises et deux abjurèrent leur foi pour embrasser l'islamisme.
Au commencement du carnage, un peloton de cavalerie qui aurait essayé de secou–
r i r les Chrétiens a dû par ordre supérieur se porter hors de la ville pour empêcher
que les paysans des environs n'accourussent en masse pour partager le butin.
Le Gouvernement disposait de 1,060 réservistes et de 60 gendarmes.
Le chiffre des Arméniens massacrés s'élève, d'après une version arménienne, de
1 0 , 000
à 1 2 , 0 0 0 ; mais i l faudrait attendre un nouveau recensement avant de pouvoir
établir un chiffre exact.
Aux juifs d'Orfa on a confié la tâche d'enterrer les morts. Les cadavres étaient
traînés dans les rues par des cordes et jetés dans un fossé où on les brûlait en y j e –
tant du pétrole. Cette lugubre besogne a duré plusieurs jours. Les juifs s'emparaient
de ce qu'ils rencontraient de précieux en l'enfouissant dans le corps même des ca–
davres qu'ils charriaient ignominieusement comme des bêtes immondes. Quelques
Musulmans ont montré de l'humanité dans ces tristes circonstances et méritent des
éloges.
Toutes ces iniquités demeurent jusqu'ici impunies et les malheureux survivants
qu'on estime à 6 , 800 environ sont sans aucune ressource. Le Gouvernement leur
fait une distribution quotidienne de pain; mais une grande partie succombera à la
rigidité de l'hiver, demeurant sans abri n i vêtements.
En dehors de la classe arménienne grégorienne, on ne compte qu'une centaine de
chrétiens tués, dont une cinquantaine d'Arméniens catholiques.
Le chiffre officiel indiqué ici par l'autorité locale est de 6 0 0 chrétiens contre 120
Musulmans; mais d'après le récit qui m'a été fait par des fuyards d'Orfa, interrogés
séparément, et n'ayant aucun lien avec les Arméniens grégoriens, cinq Musulmans
seulement perdirent la vie, trois à l'attaque de l'église et deux assassinés pour avoir
voulu s'enlever réciproquement le butin qu'ils avaient emporté.
Z
AICOPOLI.
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Fonds A.R.A.M