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N° 62 .
T R A D U C T I O N
d'une lettre adressée d'Orfa au Consul de France à Alep par un
témoin oculaire du masssacre.
Orfa, le 22 janvier 1896.
Le dimanche 6 novembre, à 5 heures à la turque, un jeune musulman de
Biredjik, aidé de 3 autres d'Orfa, poignarda un Sarraf (changeur de monnaie) armé–
nien, devant la cathédrale même.
I l fut arrêté et remis au corps de garde; mais i l persistait à déclarer que c'était
par ordre d'un capitaine de l'armée qu'il avait assassiné cet homme. On le mi l à
mo r t ; ses blessures constatées par les pharmaciens, Melkou et Sarkis, ont été recon–
nues avoir été faites par des baïonnettes.
Ces deux morts furent le point de départ des massacres qui ont eu lieu à la suite.
En effet, dès ce moment, les esprits se sont échauffés; les musulmans disaient
ouvertement qu'ils devaient suivre l'exemple des Turcs de Marache qui avaient exter–
miné les chrétiens.
La même nuit, à 7 heures à la turque, ils firent entendre des coups de fusil. Tous
les Arméniens furent dans des craintes mortelles jusqu'au matin. Le lendemain la
police pour surexciter les Musulmans faisait répandre le bruit que les Arméniens
avaient tiré la nuit sur les Turcs et qu'on n'attendait plus que Tordre impérial pour
exterminer les ghiaours.
Malgré ces bruits, les Arméniens se rendirent à leurs affaires, mais ils furent dé
suite insultés, battus dans leurs propres magasins et durent se retirer bien vite dans
leurs maisons pour éviter de plus grands malheurs. Les Turcs, profitant de leur
absence, se mirent immédiatement à briser les devantures de leurs magasins et à les
piller entièrement avec l'aide des militaires eux-mêmes.
J'ai vu la chose de mes propres yeux par les fenêtres d'un hôtel où je me trouvais.
Le chef militaire Hassan-Pacha, ne considérant pas ce pillage comme suffisanl,
s'adressait aux pillards et leur disait : « Vous avez du temps pour piller; rendez-vous
«
d'abord au quartier des Arméniens et exterminez-les, puis ensuite ravagez maisons
«
et magasins à votre loisir ». Voyant qu'on ne se rendait pas assez vite à son invitation,
il fit appeler un capitaine et lui ordonna de prendre sa compagnie pour rabattre avec
ses soldats les émeutiers sur le quartier arménien. En effet, la troupe arriva et, aux
cris de « Mort aux Chrétiens ! » poussa tout ce monde vers le quartier arménien : Les
maisons furent envahies, les propriétaires tués et les meubles enlevés. Mais les Ar –
méniens avaient eu le temps de se barricader chez eux, barrant les principaux pas–
sages des quartiers. Ils purent ainsi arrêter l'élan de ces forcenés qu i se retirèrent
après avoir détruit 3oo maisons, tué 120 personnes et blessé 4o autres; de leur
côté, les Turcs avaient 4 tués et 60 blessés. Dans leur rage sauvage, ils se ruèrent
alors sur le bazar et pillèrent 1,700 boutiques.
Le lendemain, les autorités locales, sous le fallacieux prétexte que c'étaient les
Arméniens qui avaient commencé et, pour surexciter encore davantage les musul–
mans, firent passer le pharmacien Melkou et ses parents en Cour martiale. Ils turent
Fonds A.R.A.M