45
mille insultes, dans le genre de celle-ci : « Baigands, vagabonds I » et que sais-je? avec
la crainte de recevoir quelques coups, comme le frère Isidoro, qui reçut un fort
soufflet d'un Turc.
Arrivé à la caserne, je lus mis dans une chambre à part, dans laquelle je restai
trois jours et trois nuits sans aucune nourriture, pas même un morceau de pain que
je n'ai pu me procurer qu'à grand peine et en le payant trois fois sa valeur ordinaire,
obligé de dormir sur la terre, sans aucune couverture pour me garantir du froid cpii
commençait à se faire sentir.
Pendant ce temps, les Kurdes incendièrent toutes les maisons arméniennes après
les avoir saccagées et tuèrent tous ceux qui s'étaient rendus aux points principaux de
la ville pour résister à l'ennemi.
Le Gouverneur et les soldats se rendirent, à la grande église arménienne schisma-
tique, où s'étaient réfugiées environ 3,ooo personnes, pour les engager à rendre
leurs armes s'ils voulaient avoir la vie sauve : mais quelques uns, craignant cpie le
Gouverneur, après avoir pris leurs armes, ne les livrât à la cruauté des Kurdes, ne
le firent que deux jours après, quand ils virent quelques-uns des leurs morts de faim
ou étouffés par la chaleur et les émanations des immondices. Quand ils eurent rendu
leurs armes, ils furent conduits au grand khan avec la même cérémonie que les
premiers.
Samedi matin 9 novembre, voyant que notre séjour à la caserne nous rendait
malades, je résolus d'écrire au Gouverneur en ces termes : « Excellence, alors que les
Kurdes nous assaillirent, n'ayant en main aucun moyen de nous défendre, n'ayant pas
le temps de demander des gardes à Votre Excellence, nous avons pris la fuite et nous
nous sommes réfugiés à l'église arménienne catholique, et delà nous fûmes conduits
à cette caserne. Pendant ce temps, notre église, notre couvent, notre école ont été
incendiés par les Kurdes. Depuis ce temps, nous sommes depuis plusieurs jours
mourant de faim, sans un sou, sans vêtements, sans couvertures pour nous défendre
la nuit contre le froid. Comme étrangers, nous n'avons personne s'intéressant à nos
besoins et à notre sécurité, nous faisons appel à Votre Excellence et nous la prions de
nous donner le nécessaire et de nous permettre de télégraphier notre situation actuelle
à notre supérieur. »
Alors le Gouverneur nous a fait réfugier dans la maison d'Aziz-Zada-Mustapha
aga, lequel nous a témoigné la plus grande sollicitude et nous a protégés de quelques
Turcs qui voulaient attenter à notre vie, afin, disaient-ils, que nous ne puissions en–
voyer la relation des faits à l'Ambassade.
Le lendemain,
1 1
novembre, je vous ai télégraphié dans les termes suivants : « Sous
la protection du Gouverneur, nous sommes sains et saufs dans la maison de Mustapha
aga. »
Le jour même, sur ma demande, le Gouverneur m'a fait conduire, escorté de
vingt soldats, voir notre couvent, notre église, etc., qui n'étaient plus qu'un monceau de
cendres.
Le
10
novembre, je recevais le télégramme suivant de l'Ambassade : «Recom–
mandé. — J'attends des nouvelles, étant inquiet de vous, je vous prie de me télé–
graphier immédiatement. Signé : Cambon », et l'autre de vous : « Télégraphiez-moi
immédiatement de vos nouvelles ».
Fonds A.R.A.M