n i secours, j'essayais de chercher moi-même, plusieurs fois, le Gouverneur pour lui
dire que l'e'glise et le couvent étaient pleins de femmes, filles et enfants et, pour lui
demander les-soldats nécessaires. Mais mes confrères de la mission, craignant que je
ne fusse tué dans la rue, m'empêchèrent d'y aller.
Que faire ? la nuit vint ; et en attendant la venue du jour, je veille en priant Dieu
pour ma vie, celle de mes confrères et celle de tant de chrétiens réfugiés près de
moi.
Le matin
5
novembre, après mûre réflexion, je vis que le couvent n'était d'aucune
sécurité et que, sans doute, les Kurdes viendraient tout massacrer. I l me vint à propos
la bonne inspiration de faire sortir les femmes et les enfants et de les exhorter à se
réfugier à l'église du quartier central. J'envoyai encore mon collègue le P. Benedetto
et le frère Isidoro à cette église.
Ayant fermé les portes intérieures de l'église et du couvent, j'attendis seul environ
une heure, puis je passai dans la rue dans le but d'observer quelque chose: Les
Turcs vinrent et trouvant les portes fermées, les brisèrent à coups de pied. Je me
réfugiai à l'église arménienne catholique, manquant d'être tué.
J'étais à peine arrivé, qu'une femme vint apporter une lettre du Gouverneur,
disant à l'évèque que s'il voulait être protégé, i l devait faire rendre les armes immé–
diatement.
L'évèque obéit sur l'heure à cet ordre et les armes furent rendues. Comme elles
parvinrent en très petit nombre au Gouverneur, i l s'impatienta et donna l'ordre aux
soldats de se retirer laissant la perquisition pour le lendemain matin. Moi et mon
compagnon, le frère Isidoro, acceptant l'hospitalité dans une maison turque voisine,
je passai la nuit à contempler notre église devenue la proie des flammes.
Le lendemain
5
novembre, de bonne heure, les Kurdes sabrent les murs de l'église
et, pendant une heure et demie, tirèrent des coups de fusil sur la foule qu i , avec les
prêtres et mon collègue le P. Benedetto, priaient et recommandaient leur âme à
Dieu. Ils avaient perdu tout espoir, quand arriva le Gouverneur suivi de tous les
membres de la municipalité et des soldats.
Un moment après, le Gouverneur fit passer tous les chrétiens qui étaient dans
l'église dans la maison du Turc qui m'avait recueilli avec mon compagnon, regardant
si chacun n'avait pas d'armes cachées.
Ceux qui n'ont pas vu ces scènes douloureuses ne peuvent s'en faire aucune idée :
la vue de ces gens ainsi maltraités, de voir des hommes, des femmes, des enfants
frappés et la nouvelle du meurtre d'un de mes jeunes professeurs que j'aimais par t i –
culièrement pour ses rares qualités et son talent, tout cela m'a fendu le cœur !
Me voyant pleurer et me désoler, quelques Turcs, croyant que c'était par crainte,
vinrent à mo i gentiment me dire : « Ne pleurez pas, vous n'avez rien à craindre pour
vous », ce à quoi j'ai répondu : « Ce n'est pas pour mo i que je pleure, mais sur tant
de pauvres gens qui souffrent horriblement sans f avoir mérite >.
Une heure environ après, cette multitude de chrétiens fut conduite à la caserne
située hors de la ville entourée d'une troupe de Kurdes et de Turcs qui les forçaient
à crier à se rompre la gorge, tout le temps du trajet : « Vive notre Sultan! »
J'ai dû, avec mes compagnons, comme si j'étais complice de quelque énorme forfait,
subir cette humiliation, au milieu de cette infâme troupe, et forcé de recevoir
Fonds A.R.A.M