Le dimanche
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3,
j'avisai Votre Excellence du départ de Bahri Pacha. Ce départ,
à l'occasion duquel on redoutait des manifestations, du côté des Turcs aussi bien
que du côté des Arméniens, avait eu lieu sans incident, la veille au soir.
La population était toujours inquiète et notre colonie partageait l'anxiété géné–
rale : je jugeai utile de la rassurer. Après avoir assisté à la messe consulaire en com–
pagnie de M. Jousselin et de
M.
Roqueferrier, j e rendis visite à nos établissements
ainsi qu'à la famille de M . Missir, notre drogman. Je trouvai la maison des Frères
envahie par plus de 3,ooo personnes composées surtout de femmes et d'enfants.
Les troubles dans la rue avaient cessé, les réfugiés n'avaient pas besoin de s'abriter
plus longtemps sous notre drapeau, et un danger d'un autre genre les menaçait dans
l'établissement des Frères : une épidémie pouvait se déclarer parmi eux. Je fis appel
au concours des Frères, de l'évêque arméno-catholique et de toutes les personnes
susceptibles de se faire écouter des malheureux. Je parvins ainsi à décider un certain
nombre de familles à rentrer chez elles.
J'étais très préoccupé de cette situation. Je résolus d'aller voir le Vali dès le len–
demain matin et de procéder à l'évacuation de notre établissement, d'accord avec les
autorités. C'est ce que je fis en effet. J'ajoute que cette délicate opération a été effec–
tuée dans le plus grand calme, sans résistance de la part des réfugiés et sans i nc i –
dent. Pendant les tristes événements qui viennent de se dérouler i c i , les Frères ont
été admirables de charité, d'énergie et de sang-froid.
Le i 4 , la canonnière
Teretz,
annoncée depuis plusieurs jours, faisait son entrée
dans la rade. A la demande du Va l i , les saluts étaient échangés entre le navire de
guerre et la forteresse, au moyen du drapeau seulement. On voulait éviter ainsi de
donner l'alarme aux Musulmans des villages et d'exalter leur fanatisme. Depuis ce
moment, aucun incident nouveau ne m'a été signalé, mais l'arrivée du
Teretz
n'a pas
produit tous les heureux effets que nous en attendions. La situation est toujours aussi
pénible. Les Turcs sont calmes en apparence; en réalité, ils sont impénétrables. H
suffirait d'une étincelle pour rallumer l'incendie. Cette situation durera sans doute
encore longtemps.
Je vais maintenant présenter à Votre Excellence un exposé des événements qui se
sont déroulés dans la rue, tel que mes informations, encore insuffisamment com–
plètes, me permettent de le faire.
J'ai signalé l'apposition, le lundi soir, de marques inexplicables à la porte d'un
certain nombre de maisons: c'était, généralement, un tiré au pinceau avec de la cou–
leur rouge. Comme une semblable constatation a été faite pour un certain nombre
de maisons musulmanes, je crois qu'il n'y a pas lieu d'attacher à ce fait une trop
grande importance.
Les personnes qui auraient vu la physionomie de la ville quelques instants seule–
ment avant le commencement des massacres, ne se seraient certainement pas doutées
des faits qui allaient se dérouler. Une foule de gens vaquant à leurs occupations or –
dinaires remplissait les rues. I l paraît établi que c'est exactement à la même minute
et sans qu'un signal ait pu être donné que les Musulmans se ruèrent sur les Armé–
niens. Les commissionnaires pour les transports dans l'intérieur, qui appartiennent
pour la plupart à la communauté arménienne, se trouvaient en grand nombre à la
douane pour leurs affaires; ils furent tués. Quelques malheureux qui voulaient s'em-
Fonds A.R.A.M