était réelle, à ce point que je dus donner l'hospitalité, au consulat, aux familles de nos
deux cavas musulmans. Les personnes de toute nationalité et de toute religion qui
étaient venues me demander asile s'élevaient en ce moment à une centaine environ.
Un officier de police vint dans la soirée, de la part du Vali, nous informer que tout
était tranquille, et que les Musulmans devaient former autour de la ville une sorte de
cordon protecteur.
J'avais pu , dans la matinée, expédier à Votre Excellence un télégramme, dont
l'envoi avait été impossible la veille, pour l'informer des graves événements qui avaient
eu lieu.
La nuit se passa dans un calme surprenant, aucun bruit ne se faisait entendre; de
temps en temps seulement, très l o i n , on percevait l'écho d'une détonation isolée.
Nous devions apprendre par la suite que les émeutiers de la veille avaient, cette nuit-
là , dévasté les villages arméniens : du bateau autrichien alors en rade, on voyait sur
toutes les collines des lueurs d'incendie. On assure que les villages arméniens des
environs de Trébizonde auraient été détruits en totalité. Ce grave événement a eu
sans doute pour résultat de préserver la ville d'un nouveau massacre qu i , cette fois,
ne se serait pas borné aux Arméniens.
Le 10 au matin, nous apprîmes ensuite que 100 hommes étaient arrivés, la nu i t ,
de la petite ville voisine de Rizé ; le commandant des rédifs de cette localité, Mehmed
Salih Pacha, était avec eux : ce renfort avait été promis par le Vali dès le 6, lors de
la démarche des Consuls, et i l était réduit à un chiffre insignifiant.
On procéda dans la journée, comme la veille, à des visites domiciliaires pour faire
conduire sous escorte les Arméniens auConak ou à la forteresse, et afin de s'emparer
des armes que l'on savait être gardées dans leurs maisons. Des gens- furent trouvés
qu i , depuis trois jours, restaient cachés dans des greniers, parfois même sous des
amas de charbon.
Je reçus vers le coucher du soleil une lettre par laquelle le Vali m'informait qu'en
vertu d'un iradé impérial l'état de siège était proclamé à Trébizonde et dans les envi–
rons; Sahh Pacha prenait le commandement de la ville, et les crimes et délits sous–
traits aux tribunaux ordinaires devenaient justiciables de la cour martiale. En don–
nant acte au Vali de cette communication, j'eus soin d'insister sur l'urgente nécessité
de continuer à tous les établissements français une protection que je jugeais toujours
impérieusement nécessaire.
Le 1 1 j'avisais l'Ambassade de la proclamation de l'état de siège : je crus devoir
également prier Votre Excellence de réquisitionner le bateau des Messageries arrivant
de Marseille, afin que ce navire vînt le plus tôt possible à Trébizonde se mettre à ma dis–
position. Tous les Consuls avaient retenu leurs bateaux de commerce et je voulais avoir
les moyens, en cas de péril extrême, de faire embarquer la colonie. Je remercie
Votre Excellence d'avoir bien voulu consentir à cette mesure de précaution, à laquelle
j'espère bien n'être jamais obligé de recourir.
Le samedi 1 2 , dans la soirée, je reçus un télégramme de l'Ambassade, m'infor-
mant de l'heureuse solution donnée à une question qui aurait pu soulever un nou–
veau conflit à Constantinople entre les Turcs et les Arméniens. Un grand nombre de
ces derniers, réfugiés dans les églises, avaient obtenu la vie et la liberté grâce à l'inter–
vention des six ambassades. Le danger était écarté et l'ordre rétabli dans la capitale.
Fonds A.R.A.M