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barquer pour se sauver à bord des bateaux présents dans le port furent massacrés
parles bateliers à coups de rame ; un autre individu était précipité à la mer et lapidé.
Dans toutes les rues, sur les places, tous les Arméniens rencontrés tombaient frappés
et étaient achevés avec une férocité inouïe. Les négociants étaient arrachés de leurs
magasins et livrés aux assassins. En quelques instants le massacre était complet. La
foule se précipita alors pour piller les boutiques. On voyait des portefaix emporter
les marchandises sans rencontrer aucun empêchement dans leur besogne.
On assure que les zaptiés et les soldats, loin de s'opposer à ces actes, les avaient
plutôt favorisés. On m'a cité notamment des soldats qu i , voyant que les émeutiers ne
pouvaient pas parvenir à atteindre une maison arménienne, par suite de l'insuffisance
de portée de leurs armes, s'étaient débarrassés de leur veste d'uniforme pour faire le
coup de feu avec les assassins. En tout cas, ce que j ' ai pu constater
de visa,
c'est, que
les zaptiés demeuraient dans les postes de police, l'arme au poing, dans une attitude
défensive et sans essayer d'arrêter les émeutiers.
On est encore peu d'accord sur le nombre des victimes. L'autorité avoue 180 per–
sonnes, mais tout porte à croire que le nombre des morts est supérieur à 500 pour
la ville de Trébizonde. Un recensement des Arméniens s'effectue en ce moment, et i l
est probable que le chiffre exact des décès sera bientôt connu en ce qui concerne la
ville même. Quant aux villages arméniens des environs, on assure qu'ils auraient été
entièrement détruits. Ce n'est que plus tard, lorsque la sécurité sera complètement
rétablie, qu'on pourra connaître la vérité à ce sujet.
Presque aucun Arménien n'est rentré chez l u i . Tous les consulats et un grand
nombre de maisons contenaient des réfugiés, mais c'est surtout chez les Frères que le
nombre de ces derniers a été considérable. Le nombre des malheureux auxquels ils
ont donné asile s'est élevé à 3,3oo environ. En ce qui me concerne personnellement,
j'ai reçu au consulat près d'une centaine de réfugiés de toute sorte, français et pro–
tégés français, arméniens grégoriens et catholiques, grecs et même musulmans.
D'après la version officielle, ce serait la détonation d'un coup de revolver tiré par
un Arménien et mal interprétée par la population musulmane qui aurait été la cause
initiale des massacres. La façon dont ceux-ci ont commencé, à la fois dans toutes les
parties de la ville, rend cette prétention bien invraisemblable. C'était, on n'en peut
guère douter, un complot soigneusement réglé. La participation de la troupe aux
crimes commis, le pillage toléré, sont des circonstances sur l'importance desquelles
i l est difficile de se faire illusion.
D'un autre côté, i l serait injuste de méconnaître que d'indiscutables provocations
ont eu lieu de la part des Arméniens. L'organisation des comités révolutionnaires, les
personnes qui en faisaient partie, tout était connu de la population musulmane. Lors
des massacres, c'est surtout aux chefs du mouvement que les Turcs en voulaient, tout
le prouve jusqu'à l'évidence.
CILLIÈRE.
Fonds A.R.A.M