conforté les religieux et nous reprîmes le chemin du consulat accompagnés de notre
cavas et d'un zaptié. Nous avions à longer le jardin public et à traverser la place cen–
trale où. se trouvaient les magasins des principaux négociants arméniens et où les
désordres les plus graves avaient eu lieu. Le massacre était à peu près terminé et le
pillage commençait. Çà et là, sur notre passage, des détonations d'armes à feu re –
tentissaient encore.
C'est au zaptié et à notre cavas, qui nous faisaient littéralement un rempart de
leur corps, que nous dûmes d'avoir pu effectuer sains et saufs ce parcours incessam–
ment traversé par des bandes d'assassins. Les magasins rencontrés sur notre route
étaient livrés au pillage et la ville, toujours si animée à cet endroit, présentait un
navrant spectacle. Les vitres brisées, l'amas d'objets inutiles jetés par les voleurs, les
cadavres dont les blessures signalaient l'atroce acharnement des massacreurs, tout
donnait, avec l'aspect effrayant des individus rencontrés, une impression de violence
et de sauvagerie inouïes.
A un moment, nous dûmes, sur l'ordre du zaptié, redoubler de vitesse; nous
passions devant le magasin dévasté d'un commissionnaire arméno-catholique. On en–
tendait justement les coups au moyen desquels on s'efforçait d'ouvrir le coffre-fort
de ce négociant. C'est d'ailleurs le doigt sur la détente de son fusil, en criant conti–
nuellement : « ne tirez pas! », que le gendarme nous guidait. Vers 2 heures, nous
atteignions enfin le consulat.
M. Jousselin, que l'expédition d'un travail urgent avait empêché de se joindre à
nous pour la visité du Gouverneur, se trouvait au consulat bien avant le commence–
ment de l'émeute. Voici le récit qu'il m'a fait des incidents qui s'étaient passés en
mon absence: «Vers 11 heures un quart, des cris d'enfants, une bousculade de
gens qui semblaient fuir, l'intrusion d'individus dans le consulat, attirèrent son atten–
tion ; au même moment des coups de feu éclataient. Le cavas présent, un Chrétien,
se précipitait pour fermer la porte; i l se heurta à un Arménien pourchassé qu'une
bande de forcenés allait atteindre dans le consulat même, quand un de nos cavas mu –
sulmans, homme d'un grand courage et qui nous a été vraiment précieux au cours
de ces événements, se précipita sur les agresseurs ; terrassé un instant, i l put se re –
lever et faire reculer, par son attitude décidée, ses adversaires qui tirèrent inutile–
ment sur l u i . I l resta dehors, la porte du consulat étant fermée, et c'est à l u i que
nous devons la préservation de la résidence consulaire, sur laquelle le drapeau était
cependant hissé. L'Arménien poursuivi, un jeune homme de quinze ans, avait pu , à
la faveur de cette intervention trouver un refuge dans une maison turque voisine.
Omer agha, c'est le nom de ce serviteur, venait d'ailleurs d'aider à fermer la poste
française sur laquelle i l avait fait flotter les couleurs nationales. Je me réserve, le
moment venu, de soumettre à Votre Excellence des propositions de récompense pour
Omer agha et pour son collègue plus ancien, Hélim. Le courage déterminé et le dé–
vouement de ces serviteurs, qui ont risqué sans hésitation leur existence pour nous,
protéger, sont dignes de toute notre gratitude.
Les vociférations, les coups de feu ininterrompus, ne cessèrent que bien après
notre arrivée ; et c'est seulement au moment où le massacre, malheureusement trop
complet, amenait un apaisement momentané, que le consulat reçut la garde promise
depuis quatre jours par le Vali. Encore était-ce à la suite d'une réclamation expresse
DOCUMENTS DIPLOMATIQUES.
Arménie.
a
Fonds A.R.A.M