l'Yémen et sa diplomatie alternativement
sournoise et brutale — cadeaux ou massa–
cres — lui concilie mal des tribus par na–
ture peu soumises. Le chérif de la Mecque
se soucie même si peu du khalife que celui-
ci doit lui payer un.tribut, sous forme de
don, pour que le pèlerinage turc s'accom–
plisse sans encombre. Cette année, comme
l'année précédente, le grand chérif a voulu
tondre- de trop près les pèlerins venus
d'Egypte, autre pays nominalement harni–
dien; et les chérifs inférieurs se sont adres–
sés pour faire valoir leurs griefs non pas à
l'hôte d'YIdiz, mais à son vassal le khédive
et ainsi par voie indirecte au résident bri–
tannique au Caire, Lord Cromer. Avant le
pèlerinage, le gouvernement égyptien avait
attiré l'attention du gouvernement suzerain
sur les incidents fâcheux advenus déjà l'an
dernier aux pèlerins d'Egypte : il ne man–
quera pas de tirer conclusion des doléances
nouvelles qui lui sont présentées et se char–
gera sans doute à l'avenir d'assurer lui-
même la sécurité et la vie de ses sujets et
protégés; c'est-à-dire que l'impuissance où
est Hamid à faire respecter son autorité en
ces régions sera un excellent prétexte pour
développer en Arabie l'influence anglaise.
Dans ces conditions, le ghazi ferait sage–
ment en donnant satisfaction à l'État bri–
tannique dans l'affaire de l'Huiterland
d'Aden, s'il ne veut s'attirer quelque fâ–
cheuse aventure.
F
I N A N C E S . —
La haute Commission finan–
cière manifeste toujours un grand zèle : elle
a imaginé de sévir contre les fonctionnaires
qui, en province, font des virements et
affectent à d'autres objets l'argent destiné
aux équipements militaires. Cependant
soldats et zaptiéhs sont comme devant
pieds nus et loqueteux et le Trésor ne s'en–
richit point d'un para.
La ' détresse est grande au dire des
meilleurs amis d'YIdiz ; le correspondant
du
Figaro
à Constantinople, familier de
l'ambassade de France, directeur d'un jour–
nal de langue française à Constantinople et
à ce titre favorable à Hamid et à ses servi–
teurs, après avoir constaté que la fête du
Baïram s'est.passée heureusement, ajoute :
Les p r é c a u t i o n s
financières avaient é t é prises
p o u r les payements obligatoires que
c omp o r t e
cette é c h é a n c e .
Ce n'est d'ailleurs pas sans peine q u ' o n avait
r é u n i les 3oo.ooo livres n é c e s s a i r e s . L a S o c i é t é alle–
m a n d e des c h e m i n s de fer d ' A n a t o l i e avait c o n –
senti une nouvelle avance. L e g o u v e r n e m e n t avait
retenu sur les affectations de provinces. De la sorte
on avait p u sauver encore la situation dans la capi–
tale.'
M a i s ce ne sont là que des e x p é d i e n t s . L e g o u –
vernement le sait bien. A u s s i cherche-t-il de tous
côtés des c o m b i n a i s o n s l u i permettant de l i q u i d e r
la situation, avec u n e m p r u n t s é r i e u x . Il y a diver–
ses o p é r a t i o n s en vue, P o u r le m o m e n t , le seul
arrangement c o n c l u est une avance p r o p o s é e par des
A n g l a i s et b a s é e sur le r e n o u v e l l e m e n t de la c o n –
cession d u
tunnel
(
un petit funiculaire reliant P é r a
à Galata). M . E r l a n g e r sollicitait cet avantage,
mo y e n n a n t q u o i il proposait une avance r e m b o u r –
sable en d é c e m b r e
1906.
Il p a r a î t que ses offres,
g r â c e à l'appui d'un m i n i s t r e t r è s v e r s é dans ces
sortes d'affaires, ont été a c c e p t é e s . M a i s ceci encore
n'est q u ' u n e x p é d i e n t .
II faut pourtant des r e m è d e s plus s é r i e u x . C a r ,
de tous côtés, l'on signale des s y m p t ô m e s alarmants.
Si l'on songe qu'il va encore falloir, le
14
janvier, payer à la Russie 35o.ooo liv. t.
pour l'indemnité de guerre et que jusqu'ici
90.000
liv. t. ont été trouvées en vue de
cette échéance, il est aisé de comprendre
que toute la piraterie financière d'Europe
est en éveil et s'apprête à faire au détriment
du peuple turc, mais à son propre bénéfice
et à l'avantage du Sultan quelque fruc–
tueuse opération. Les dents de ces différents
fauves sont longues et leur appétit vorace :
la Bête saura faire leur part et la sienne
dans la chair et dans le sang de ses fidèles
sujets.
L
A
D
É M I S S I O N D U
G
R A N D
V
É Z I R .
—
Les
bruits de démission du grand Vézir Férid
Pacha ont couru à nouveau avant les fêtes
de Baïram. On notait des signes de mécon–
tentement du Sultan : il avait accablé de ca–
deaux et de décorations Férid et son frère
et ces faveurs annonçaient une disgrâce
prochaine. Fait plus grave, pendant plu–
sieurs semaines, Hamid avait privé de toute
audience le soi-disant chef du Gouverne–
ment. Puis tout à coup, pendant cinq heu–
res il s'était entretenu avec lui, et le jour du
Hirkaï Chériff l'avait favorisé de sa conver–
sation pendant la traversée du vieux sérail
à Yldiz. Le Baïram s'est passé, sans que
Férid fût congédié. Ce sera pour une autre
fois.
P. Q.
Les Massacres de Yan en 1896
A u m o m e n t o ù de n o u v e a u x massacres se p r é p a –
rent o u ont eu lieu à V a n et dans la r é g i o n v o i –
sine, i l est b o n de rappeler ce que furent les massa–
cres de
1896
dans le m ê m e pays, d ' a p r è s des t é m o i –
gnages directs :
A Van et dans le district de ce nom, le
nombre des victimes des massacres du i 5
au
25
juin dernier dépasse toutes les sup–
positions. Le bilan de cette destruction et
et de ces boucheries-est horrible. Dans la
ville même, trente-et-un quartiers chré–
tiens, sur trente-quatre, sont aujourd'hui
complètement détruits et couverts de dé–
combres calcinés. Près de cinq mille chré–
tiens ont été égorgés ou sont morts dans les
flammes de cet incendie monstre !
Dans la plaine de Van , le spectacle est
plus navrant encore. De ces nombreux v i l –
lages arméniens;-si prospères et si peuplés,
il ne reste plus rien ! ! D'après les informa–
tions les plus sûres et les moins exagérées
de nos correspondants oculaires, le nombre
des massacrés dépasse vingt mille, ce qui
porte à plus de vingt-cinq mille le nombre
total des chrétiens égorgés, en quelques
jours, non compris ceux en grand nombre
—
également perdus pour la foi chrétienne
—
qui ont été convertis par force à l'isla–
misme, et qui n'ont été épargnés qu'après
avoir été circoncis !
Un de nos correspondants nous fait un
tableau lamentable de la misère affreuse
qui règne en ce moment dans la popula–
tion arménienne de Van et dans toute cette
malheureuse province.
Des milliers de malheureux accourent
chaque jour de tous les points de cette im–
mense plaine de Van , et se pressent dans
la ville pour y trouver chez les mission–
naires le morceau de pain qui les empêchera
de mourir de faim, et qu'ils continueront à
recevoir tant que les missionnaires auront
les moyens de faire cette bienfaisante dis–
tribution de chaque jour. Mais le moment
approche où les secours envoyés par la cha–
rité vont être épuisés, et alors que devien–
dront ces malheureux?...
Rien n'est lamentable comme ce doulou–
reux exode de vieillards, d'enfants, de
vieilles femmes qui s'éloignent en pleurant
de leurs champs dévastés, de leurs demeu–
res pillées et incendiées, pour accourir dans
cette ville de Van où ils espèrent apaiser
la faim qui les dévore...
Hélas! pas une seule jeune fille, pas une
seule jeune femme se trouve parmi ce
troupeau de malheureux affamés qui se
presse vers la ville : celles-là ont toutes été
ravies par leurs bourreaux qui les ont
gardées pour eux, ou sont allés les vendre,
pour les harems, jusque sur les marchés de
la Perse.
Toutes les autres subissent présentement
le pire des déshonneurs et des esclavages :
chacun de leurs envahisseurs, Turcs et
Kurdes, officiers ou fonctionnaires civils, se
sont partagé ce « butin de guerre, » et cha–
cun en compte plusieurs dans son harem.
C'est surtout le sort de ces dernières qui
est à plaindre ; les autres, les égorgées, les
massacrées pour leur foi, combien elles
sont plus heureuses, même celles qui se
sont précipitées au fond des puits, avec
leurs filles, pour éviter l'outrage !
Plus de vingt-cinq mille réfugiés, tous
sans aucune ressources, sont donc actuelle–
ment à Va n . Bientôt, hélas ! les secours des
missionnaires qui les ont nourris jusqu'à
présent vont manquer, et i l n'y a aucun
doute, si la charité ne vient promptement à
leur aide, que la famine, la misère et les
maladies épidémiques vont achever l'œuvre
exterminatrice commencée par le ,fer des
bourreaux.
(
Bulletin des Œuvres d'Orient.)
(
Janvier-février
1897.)
Le Secrétaire-Gérant
:
J
E A N
L
O N G U E T .
Fonds A.R.A.M