terrompit le discours du professeur
Kapoustine, en s ' é c r i a n t : « C e n'est pas
de cela dont nous avons besoin ! »
Aussitôt un groupe d ' é t u d i a n t s monta
sur l'estrade et, déploya'nt un drapeau
rouge, entonna
la
Marseillaise.
LA QU I NZA I NE
Par le Fer ou par la Faim
L a bon t é du Sultan est infinie; elle
s'étend jusqu'aux b ê t e s . Autrefois Sa
Majesté Imp é r i a l e voulut bien interdire
à la Compagnie des tramways de Cons–
tantinople, de jeter du sel dans la rue
pour faire fondre la neige : ce mé l a n g e
glacial et corrosif aurait b r û l é les pat–
tes des chiens errants. Tout d e r n i è r e –
ment, l'ambassadrice d'Allemagne a
d o n n é à Hami d l'occasion d'accomplir
un nouvel acte de b o n t é . M
m e
Ma r s h a l l
von Rieberstein avait été a t t r i s t é e au
spectacle des oiseaux pris par centai–
nes à la glu sur les murs de Stamboul
et dans les jardins du Rospho i e , pour
satisfaire la gourmandise des mangeurs
de pilaf; à peine eût-elle man i f e s t é le
dé s i r que cette cruelle pratique fût d é –
fendue, qu'un i r adé y mit fin a u s s i t ô t .
E t les amis des oiseaux c é l èb r en t la
gloire jumelle d ' Ab d - u l -Hami d et de
l'ambassadrice d 'Al l emagne .
P r o t é g e r des c r é a t u r e s l é g è r e s , har–
monieuses et charmantes, c'est fort
bien. Ma i s Madame Ma r s h a l l de Rie–
berstein sait-elle que dans le vaste em–
pire du Sultan, toute une c a t é go r i e de
c r é a t u r e s humaines est, par ordre du
souverain, v o u é e à la mort ? Sait-elle
que sur les ruines des villages d é t r u i t s ,
les petits A rmé n i e n s meurent de faim
et de froid, que leurs p è r e s ont été
ma s s a c r é s , leurs s œ u r s et leurs mè r e s
violées ? L e sait-elle e l le peut-elle
ignorer ? E t n'est-ce pas une sanglante
dé r i s i on que le pouvoir des mieux i n –
t e n t i onn é s à Constantinople ne soit en
état de se manifester que pour de vains
objets; car i l ne parait pas que la pro–
tection des petits oiseaux soit d'un i n –
t é r ê t p r imo r d i a l dans un pays, où cette
a n n é e encore, plus de 7.000 A r mé –
niens ont été é g o r g é s .
No n seulement les coupables n'ont
pas été c h â t i é s ; mais en dép i t de l'ap–
parente accalmie actuelle, le plan d'ex–
termination se poursuit avec une ad–
mirable mé t h o d e .
E n pleine crise, au mois de juin
dernier, les ministres de Sa Majesté
avaient p o r t é à la connaissance des
puissances, les d é c i s i on s suivantes :
1
° Que l'on garantirait aux réfugiés
de Mou s h et autres lieux, l'autorisation
de retourner au Sassoun ;
2
° Qu'une somme de 5.000 L . T.
serait e n v o y é e au vali de Ritlis pour
aider les réfugiés à reconstruire leurs
maisons ;
3
° Que des casernes seraient cons-
truiles dans le voisinage de Sassoun,
pour p r o t é g e r les A rmé n i e n s contre
les d é p r é d a t i o n s des Ku r de s « et pour
mettre en é c h e c d è s son début tout
mouvement r é vo l u t i onn a i r e . »
4
° Qu'une amnistie g é n é r a l e serait
a s s u r é e à tous ceux qui se rendraient
et qui n ' é t a i e n t pas actuellement incul–
p é s de crimes.
5
° Qu'une gendarmerie s é r i eu s e se–
rait r é o r g a n i s é e à Ritlis et dans les v i –
layets voisins et qu'une e n q u ê t e serait
faite sur le mode d'administration en
vue de r emé d i e r aux abus existants.
De leur cô t é , les réfugiés avaient
formulé leurs demandes dans une re–
quê t e aux consuls. Ils demandaient des
garanties aux cinq puissances, sur cinq
points :
1
° Qu'ils fussent r é t a b l i s dans leurs
anciennes maisons de la montagne,
avec tout ce qui é t a i t n é c e s s a i r e pour
maintenir l'ordre ;
2
° Que leurs maisons et ég l i s e s fus–
sent reconstruites ;
3
° Que le bétail et les objets vo l é s
leur fussent r e s t i t u é s ;
4
° Que l'accès de leurs districts fût
interdit aux Ku r de s nomades ;
5
° Qu'on ne c o n s t r u i s î t pas chez eux
de casernes, vu les méfaits à p r é vo i r
de la part des soldats en particulier à
l ' éga r d des femmes ob l i g é e s d'aller
seules aqx champs.
Sur la question capitale des casernes,
les deux programmes diffèrent radica–
lement et pour cause ; sur les autres
points, i l n'y a pas entre eux d'antago–
nisme formel. Ma i s i c i a p p a r a î t l'ordi–
naire astuce du gouvernement hami –
dien. Dans les p é r i o d e s de grand scan–
dale, quand la r évé l a t i on des mas–
sacres oblige les puissances à ne pas
montrer une totale indifférence, i l faut
bien feindre d'accorder des concessions
raisonnables.
Ma i s a u s s i t ô t que le temps a t t é n u e
l'horreur des é v é n eme n t s — et les d i –
plomates ne demandent qu ' à oub l i e r—
les promesses faites s ' é v a n o u i s s e n t et
il ne demeure des d é c i s i on s hamidien–
nes, que les plus dangereuses pour les
A r mé n i e n s .
C'est ce qui vient de se produire une
fois encore et nous assistons en ce mo-
mant à l'organisation de la famine et à
la p r é p a r a t i o n d'un prochain massacre
en même temps que la r é p r e s s i o n con –
tinue.
L'amnistie a été comme toujours,
leurre et mensonge : 1,200 Sassounio–
tes sont toujours e n f e rmé s dans les
[
irisons de Mou s h sans avoir é t é j u g é s
et selon un p r o c é d é déjà emp l o y é en
1896,
les perquisitions pour la recher–
che des armes ont été le p r é t e x t e de
vexations i n o u ï e s ; ceux qui n'avaient
jamais eu d'armes devaient en acheter
chez les marchands de ferraille pour
que la gendarmerie les pû t saisir et
justifier ainsi ses violences.
Le rapatriement tardif des réfugiés
et leur c omp l è t e d é t r e s s e ont emp ê c h é
les Sassouniotes de faire les semailles,
c'est-à-dire que la famine est o r g a n i s é e
pour le printemps, ainsi qu ' i l fut fait à
Va n en 1897. Ma i s l ' é c h é a n c e du prin–
temps parait encore une date trop loin–
taine et d è s maintenant les Sassou–
niotes sont c o n d amn é s à mou r i r de
faim par mesure administrative, puis–
qu'il leur est interdit de venir se r av i –
tailler dans la plaine de Mo u s h .
Il serait d'autant plus n é c e s s a i r e que
ma l g r é les difficultés o p p o s é e s par le
Gouvernement turc, les secours e n v o y é s
du dehors aux consuls e u r o p é e n s leur
fussent i mmé d i a t eme n t d i s t r i b u é s ; bien
que très insuffisants, ils sauveraient du
moins quelques vies humaines ; et par–
tiellement le plan hamidien serait dé –
j o u é .
Ma i s une autre menace subsisterait;
les casernes construites à Da p i k , Se–
mai, Guellieh-Guzan, Ichtkentzor et
Ta l o n k , c'est à dire aux points s t r a t é –
giques qui commandent les hautes
vallées du Sassoun. De bonnes âme s
et même un consul anglais, d'ordinaire
mieux i n s p i r é , ont man i f e s t é quelque
surprise que les A rmé n i e n s refusassent
d ' ê t r e p r o t é g é s contre les Kurdes par
les soldats de Sa Majesté Imp é r i a l e .
L e ministre français des affaires
é t r a n g è r e s a r é p o n d u d'avance à leur
objection en constatant à la Chambre
Fonds A.R.A.M