Dans les Yilayets Arméniens
Au moment de mettre sous presse
nous recevons deux importants
rap–
ports
(
R i t l i s , 20 s e p t e mb r e , V a n ,
25
s e p t emb r e )
sur la situation dans la
région entre Segherd et Bitlis et dans
les environs de Van : les violences des
chefs kurdes contre la populalion
ar–
ménienne
entièrement
désarmée
sont
continuelles
et s'exercent au su des
gouvernements européens
à qui les rap–
ports dont voici l'analyse ont été cer–
tainement communiqués
:
Rapport de Bitlis.
Bindouan.
L e chef kurde H a m z o é -
Dio,
de la t r i b u De rma n i a n arrive au v i l –
lage avec dix hommes a r m é s ; i l ouvre de
force la grange de l ' A r mé n i e n A r o B é d r o -
sian et vend le blé q u i s'y trouvait à des
n é g o c i a n t s venus de D i a r b é k i r . A r o q u i
fait des observations est cruellement battu
par les homme s d ' H a m z o é - D i o . Il meurt
dix j ou r s a p r è s des suites de ses blessures.
Khendouk.
Profitant d'un conflit avec
K h a b i l , chef de la t r i b u d ' Ar c h i t a n , Djémil
Tchetto, chef de la t r i bu Pendjidar e n l è v e
trois cents moutons aux A r m é n i e n s .
Hatharik.
F é l i d é Ha s s o ,
Ressoul
Mi h é , H i s s o é Belle, tous trois de la tribu
de R i c h k o t a n e n l è v e n t quarante moutons
aux A r m é n i e n s , vont les vendre à D i a r –
b é k i r , a c h è t e n t des armes et des mu n i –
tions et s'en servent pour razzier au m ê m e
village dix bœu f s et dix buffles.
Kergamo.
A l i -Mo u s s o , chef du village,
a t u é d'un coup de fusil l ' A rmé n i e n Oh a n
G a r a b é d i a n , q u i passait p r è s de sa terre
avec u n â n e c h a r g é de b l é . P o u r toute
explication Mousso s'en v a r é p é t a n t :
«
Il y a ordre impérial de tuer les
ghiaoursqui se sont révoltés je ne sais où . »
Dussedik.
Les frères de B i c h a r d , chef
des kurdes de Kh a r z a n ont e x t o r q u é cent
livres turques à ce village et aux villages
a r m é n i e n s voisins de Ha b b , H i s h i s et
Bé ï b o pour acheter des armes et des m u –
nitions.
Telmèze.
Mizzo Isso, chef du village,
a c c o m p a g n é de v i n g t - c i n q Ku r d e s en
armes a e n l e v é Seydo, femme de N e r s è s -
P i t c h o u k i a n et l'a e mm e n é e au village de
Chifeta, pour l a donner au chef de la tribu
de R amma n .
Rapport de Van.
Doni.
L e chef Ku r d e Me hme d s'est
i n s t a l l é dans ce village dont i l veut s'em–
parer. Il y vint d'abord en h ô t e et en ami .
P u i s i l trouva des p r é t e x t e s pou r faire
a r r ê t e r et emprisonner quelques notables : i
pendanl leur i n c a r c é r a t i o n , avec l'aide de
faux t é mo i n s et la c omp l i c i t é de l ' emp l oy é
d u cadastre, i l acheta leurs terres à leur
insu. Le s p r o p r i é t a i r e s « s p o l i é s p r o t e s t è –
rent en vain à leur sortie de prison : on
leur permit de rectifier l ' e r r eu r ; mais l'af–
faire t r a î n a el le Ku r d e affermit son instal–
lation. Les villageois étaient p r ê t s à faire
m ê m e des sacrifices d'argent pour rentrer
en possession de leurs biens : « on ne peut
changer l'inscription du cadastre. »
Ce point acquis Me hme d songea à se
faire construire une maison : i l obligea les
habitants du village à faire tous les char–
rois et à lui servir des m a ç o n s , sans
aucune i n d emn i t é m ê m e de nourriture.
P u i s par ruse, par force, par p r ê t s u s u -
raires, i l augmenta son domaine. Mainte–
nant les A r m é n i e n s sont astreints à cultiver
leurs anciennes terres au profit de l'usur–
pateur, sans recevoir de l u i a u c un salaire.
Il a abattu les beaux arbres qu i faisaient
l'ornement du village et nourrit sesjpestiaux
avec les r é s e r v e s de paille et de foin q u i
restaient aux A r m é n i e n s .
Quelques-uns d'entre eux avaient l ' i n –
tention d'en r é f é r e r aux a u t o r i t é s : les me–
naces e l les violences des Ku r d e s de Me h –
med font que les femmes engagent leurs
maris et leurs p è r e s à se d é s i s t e r de leur
plainte.
Un e partie de la population commence à
é m i g r e r et Tin bon nombre d ' A r m é n i e n s
sont a r r i v é s à V a n pour y demander l a
protection illusoire des a u t o r i t é s . Depuis
deux mois qu'ils sont en ville rien n'a été
fait pour eux.
LA QUINZAINE
L'autocratie russe et les Arméniens
Le
j é s u i t e français Ve r n i e r ,
qui
écrivit en 1891 une
Histoire
du
Pa–
triarcat
arménien
catholique,
com–
mentant l'installation du patriarche
Maka r à Etchmiadzin en 1885 et l'atti–
tude déjà hostile du gouvernement
russe à l ' éga r d de la nation a rmé n i e n n e
faisait observer qu'au candidat ayant
obtenu la majorité des suffrages, le
tsar avait s u b s t i t u é arbitrairement un
Russe qui « n'a d ' Armé n i e n que le
nom ». E t i l ajoutait: « Dans quelques
a nn é e s , de par le knout, ce nom même
d i s p a r a î t r a et quelque pape cosaque
remplacera l ' Armé n i e n russifié et occu–
pera à Etchmiadzin le t r ôn e de Saint-
Gr é g o i r e ».
En son langage violent et peu res–
pectueux pour le souverain de la na–
tion amie et alliée, le j é s u i t e français
Vernier traduisait les secrets desseins
de l'autocratie russe, d omi n é e elle-
même depuis longtemps par P o b ë d o -
notzeff, l'implacable procurateur du
Saint Synode, qui a me n é contre lous
les peuples dits a l l og è n e s et toutes les
églises non orthodoxes de l'empire
russe une guerre sans répit, sous l'ins–
piration du double fanatisme religieux
et national. Le s uniates de la Petite
Russie, les stundistes, les Doukho-
bors, les Juifs, les Polonais, les A l l e –
mands des confins baltiques, les F i n –
landais, les A rmé n i e n s ont eu à subir,
pour des motifs confessionnels ou po–
litiques, les pires p e r s é c u t i o n s .
Ma i s en certains cas le bon plaisir
de l'autocratie n ' é t a i t e n t r a v é par au–
cun t r a i t é , par aucune convention so–
lennellement j u r é e qui limitât son ac–
tion, à supposer qu'aucune c on s i d é r a –
tion juridique puisse être de quelque
importance au regard d'un souverain
absolu.
Ai l l e u r s , et c'est le cas pour les F i n –
landais, les Gé o r g i e n s et les Armé n i e n s
du Caucase, des t r a i t é s ou des actes
éma n a n t des tzars avaient créé aux
populations non russes et aux églises
non orthodoxes des droits qui ne peu–
vent ê t r e r é v o q u é s sans abus de pou –
voir : c'est par un abus de pouvoir de
ce genre que, sur la proposition de
M . de P l ehwe , ma l g r é l'avis contraire
de la ma j o r i t é des ministres, le gouver–
nement russe a s po l i é les biens de
l ' Eg l i s e a rmé n i e n n e , r e p r é s e n t a n t en
réalité la nation a rmé n i e n n e toute en–
t i è r e , tant de Russie que de Turquie,
de Perse et d'ailleurs.
Lo r s qu ' en 1828, a p r è s le traité de
T u r kme n t c h a ï ,
Etchmiadzin
devint
possession russe, le tzar n'estima pas
qu'il fut avantageux pour lui de mal–
mener la population a rmé n i e n n e . Il
pensa au contraire qu'il était d'une
bonne politique de jouer envers les
A r mé n i e n s le rôle de l i b é r a t e u r inté–
r e s s é qui fut j o u é par la suite envers
les slaves de Turquie ; les Armé n i e n s
seraient donc p r o t é g é s par leurs nou–
veaux ma î t r e s et ceux-ci tireraient de
grands profits politiques du fait que
dans la h i é r a r c h i e religieuse le catho–
licos d ' E l c hmi a d z i n exe r ç a i t une su–
p r éma t i e à peine c o n t e s t é e sur l'en–
semble de l ' Ég l i s e a rmé n i e n n e . C'est
dans ce sens que fut r é d i g é le célèbre
Fonds A.R.A.M