DOCUMENTS
          
        
        
          
            Correspondance diplomatique sur les
          
        
        
          
            affaires de Zeïtoun (Octobre 1895-
          
        
        
          
            Avril 1896).
          
        
        
          
            {
          
        
        
          
            Livre Jaune de 1897).
          
        
        
          (
        
        
          SUITE)
        
        
          N°
        
        
          6 9 .
        
        
          M .
        
        
          B A R T H É L É M Y ,
        
        
          Gé r a n t du Consulat
        
        
          de France à Al ep . à M . P.
        
        
          C A M B O N ,
        
        
          Ambassadeur de la Ré p u b l i q u e fran–
        
        
          çaise à Constantinople.
        
        
          A l e p ,
        
        
          26
        
        
          d é c e m b r e
        
        
          i8g5.
        
        
          Le Férik a répandu la nouvelle de la
        
        
          prise de Zeïtoun, le Consul américain la
        
        
          dément ; le public est sceptique. Cette place
        
        
          est imprenable de vive force. Cependant i l
        
        
          semble que le manque de vivres ait entraîné
        
        
          des défections parmi les assiégés. Les pertes
        
        
          ottomanes sont sensibles; sans la coupable
        
        
          inertie ou la complaisance de l'ancien Vali
        
        
          Osman Pacha, la révolttjde Zeïtoun n'aurait
        
        
          pas éclaté sous son successeur. Dans tout le
        
        
          vilayet, les Arméniens sont armés pour la
        
        
          résistance.
        
        
          Les excitations venues de Constantinople
        
        
          à la fin d'octobre, pour le massacre des
        
        
          Arméniens d'Alep, ont rencontré le refus
        
        
          catégorique des notables musulmans par
        
        
          crainte des mêmes représailles qu'en i85o.
        
        
          Un rédif déclare avoir vu à Yenidjekalé
        
        
          les soldats sur l'ordre de leur colonel mettre
        
        
          le feu à un couvent : un prêtre ceint d'une
        
        
          corde et dix Arméniens à son service ont
        
        
          demandé de pouvoir sortir; la troupe les a
        
        
          repoussés dans la maison en feu.
        
        
          Le supérieur de Marach m'écrivait le
        
        
          1
        
        
          1
        
        
          courant : « Les maisons sont incendiées,
        
        
          le Père Salvatore est mort, les autres en
        
        
          fuite dans la montagne ». Il avait cepen–
        
        
          dant demandé au Mutessarif qu'on rame–
        
        
          nât les Pères àJMarach. J'avais fait pareille
        
        
          demande par écrit quelques jours après lui
        
        
          à Hassan Pacha, le
        
        
          24
        
        
          novembre. Le Mu –
        
        
          tessarif de Marach dont j'avais beaucoup
        
        
          à me plaindre, attribue l'incendie aux
        
        
          Pères de Yenidjekalé.
        
        
          Mon exprès pour cette localité n'a pu
        
        
          partir que le
        
        
          22
        
        
          décembre.
        
        
          B A R T H É L É M Y .
        
        
          N°
        
        
          70.
        
        
          M . P .
        
        
          C A M B O N ,
        
        
          Ambassadeur de la
        
        
          Ré p u b l i q u e française à Constanti–
        
        
          nople, à M .
        
        
          B E R T H E L O T ,
        
        
          Ministre
        
        
          des Affaires é t r angè r e s .
        
        
          P é r a ,
        
        
          26
        
        
          d é c e m b r e
        
        
          i8g5.
        
        
          On connaît peu Zeïtoun, en Europe,
        
        
          malgré les événements qui ensanglantèrent
        
        
          ce district en
        
        
          1862,
        
        
          et l'enquête effectuée
        
        
          sur place par l'Ambassade à cette époque.
        
        
          Habitée en grande partie par des Armé–
        
        
          niens, cette région de l'Empire est la seule
        
        
          où ils soient en majorité. Descendants di–
        
        
          rects des Arméniens de l'ancien royaume
        
        
          d'Arménie, ils quittèrent les régions du
        
        
          Caucase lors de la disparition définitive de
        
        
          ce dernier et se dirigeant vers la Méditer–
        
        
          ranée, ils s'établirent dans une région
        
        
          montagneuse et sauvage, d'un accès très
        
        
          difficile et dont la nature même offrait un
        
        
          asile sur à leur indépendance.
        
        
          Héritiers des mœurs rudes de leurs ancê–
        
        
          tres, ils se sont maintenus jusqu'à nos
        
        
          jours dans une quasie-autonomie de fait,
        
        
          analogue à celle de certaines tribus arabes
        
        
          de la Mésopotamie. Les Sultans oilt dû
        
        
          souvent entrer en composition avec eux, et
        
        
          l'autorité du Gouverneur Turc qu'ils eurent
        
        
          définitivement à accepter ne s'exerça jamais
        
        
          sans conteste.
        
        
          Il n'est donc pas surprenant qu'au mo–
        
        
          ment où éclatèrent les troubles d'Asie-
        
        
          Mineure, le récit des massacres de leurs
        
        
          coreligionnaires ait profondément agité les
        
        
          esprits des Zeïtounlis.
        
        
          Dès le mois d'octobre, ceux-ci, sur la
        
        
          nouvelle maladroitement colportée par les
        
        
          autorités ottomanes, que le Sultan avait
        
        
          repoussé les réformes conseillées par la
        
        
          France, la Russie et l'Angleterre, prépa–
        
        
          rèrent un soulèvement.
        
        
          J'en fus informé par le Gérant de
        
        
          notre Consulat à Alep. Un des chefs du
        
        
          mouvement lui annonçait le
        
        
          26
        
        
          octobre
        
        
          que
        
        
          2,000
        
        
          Arméniens armés, équipés et
        
        
          bien encadrés, étaient prêts à entrer en
        
        
          campagne. M . Barthélémy lui donna des
        
        
          conseils de patience et peut-être aurait-on
        
        
          évité un soulèvement, si cet émissaire avait
        
        
          pu retourner à temps à Zeïtoun pour dé–
        
        
          mentir le bruit du refus des réformes.
        
        
          Malheureusement, avant qu'il eût pu gagner
        
        
          la montagne, les Zeïtounlis en armes
        
        
          avaient attaqué le fortin où était casernée
        
        
          la petite garnison turque de
        
        
          400
        
        
          soldats.
        
        
          Après une faible résistance, celle-ci avait
        
        
          capitulé ; la nouvelle de cet échec arrivait à
        
        
          Constantinople le
        
        
          3
        
        
          i
        
        
          octobre.
        
        
          Depuis lors, que s'est-il passé à Zeïtoun ?
        
        
          On ne le sait pas au juste. Les Arméniens
        
        
          faisaient bonne garde autour de leurs mon–
        
        
          tagnes et les nouvelles ont été presque
        
        
          nulles. Tandis qu'à la Porte on prétendait
        
        
          qu'ils avaient complètement massacré la
        
        
          garnison, nos renseignements nous disaient
        
        
          qu'ils avaient dispersé les soldats dans les
        
        
          différents villages, mais sans leur faire de
        
        
          mal. Le commandant de la troupe et quel–
        
        
          ques soldats seuls avaient été tués dans le
        
        
          combat.
        
        
          L a Porte envoya aussitôt un corps d'une
        
        
          dizaine de mille hommes, chargés de faire
        
        
          le siège de la position et de reprendre le
        
        
          fortin. Les Zeïtounlis résistèrent énergique-
        
        
          ment; malheureusement les provisions
        
        
          s'épuisaient.
        
        
          Un nombre considérable
        
        
          d'Arméniens des vilayets environnants
        
        
          échappés aux massacres s'étaient réfugiés à
        
        
          Zeïtoun. Bien que les Zeïtounlis eussent
        
        
          razzié plusieurs villages musulmans situés
        
        
          au nord de la région, le moment approchait
        
        
          où la nécessité de se ravitailler les contrain–
        
        
          drait à se rendre. Le cercle des troupes se
        
        
          rétrécissait graduellement. C'est à ce mo–
        
        
          ment que les deux patriarches arméniens
        
        
          sollicitèrent l'intervention des Ambassades,
        
        
          pour ménager une capitulation et empê–
        
        
          cher une prise de vive force qui devait in–
        
        
          failliblement entraîner un grand massacre
        
        
          d'innocents. Vingt mille Arméniens de
        
        
          Zeïtoun et de la région se trouvaient, en
        
        
          effet, cernés par les troupes. Parmi eux,
        
        
          2.000
        
        
          seulement étaient armés et coupables
        
        
          d'insurrection ; les autres, des jeunes gens,
        
        
          des femmes, des enfants risquaient de subir
        
        
          le sort des insurgés.
        
        
          Mon télégramme, du
        
        
          24
        
        
          de ce mois, a
        
        
          mis Votre Excellence au courant de l'ac–
        
        
          cueil que les Ambassadeurs firent à cette
        
        
          proposition. Pour ma part, je considérais
        
        
          comme un devoir absolu d'intervenir en
        
        
          vue d'une chute éventuelle de la place, pour
        
        
          protéger les
        
        
          200
        
        
          familles arméniennes ca–
        
        
          tholiques et nos religieux de Yenidjekalé
        
        
          (
        
        
          près Marache), que l'autorité turque affir–
        
        
          mait s'être réfugiés à Zeïtoun après la des–
        
        
          truction de leur couvent.
        
        
          A peine eus-je reçu les instructions de
        
        
          Votre Excllence que mes collègues se réu–
        
        
          nirent à l'Ambassade pour aviser aux
        
        
          moyens de donner une forme pratique à
        
        
          notre intervention, au sujet de laquelle !a
        
        
          Porte et le Palais avaient été pressentis la
        
        
          veille par l'Ambassadeur d'Autriche, notre
        
        
          doyen.
        
        
          A u début de la réunion, l'Ambassadeur
        
        
          de Russie nous annonça qu'il venait du
        
        
          Palais.
        
        
          Le Sultan l'avait prié de s'y rendre d'ur–
        
        
          gence et avait abordé de lui-même la ques–
        
        
          tion de Zeïtoun. Prévenue par la Sublime-
        
        
          Porte des intentions des Ambassadeurs,
        
        
          Sa Majesté désirait savoir en quoi elles con–
        
        
          sistaient au juste. Il ne fallait pas oublier
        
        
          que les Zeïntoulis étaient des insurgés; ils
        
        
          avaient repoussé les propositions et les ga–
        
        
          ranties que leur avaient offertes, au nom
        
        
          du Gouvernement, des notables de leur
        
        
          communauté : i l fallait donc que les cou–
        
        
          pables fussent châtiés. Il avait du reste
        
        
          renouvelé le jour même ses instructions
        
        
          pour que les innocents ne fussent pas mo–
        
        
          lestés.
        
        
          M . de Nélidoff lui expliqua sommaire–
        
        
          ment comment les Ambassadeurs avaient
        
        
          songé à offrir leurs bons offices au Gouver–
        
        
          nement en ménageant une capitulation et
        
        
          en certifiant par l'envoi des délégués spé–
        
        
          ciaux, la réalité des garanties offertes à la
        
        
          population.
        
        
          Fonds A.R.A.M