p r é s a g e a n t de nouveaux massacres et
disant la d é t r e s s e des villages de S e i -
ghév i l , Kha r o r , Rélidjan et Kh o t c h é v i t ,
t y r a n n i s é s par les tribus de Tcharek,
Gh imek , Massikan, Kouv é l a n , Kh o l -
k b o l : une partie des habitants émi g r é
en Amé r i q u e . D'autres vont simple–
ment s'installer à Kha rpon t où ils ne
se trouveront g u è r e en s û r e t é , pu i s –
que tout r é c emme n t , les ambassadeurs
d'Angleterre, d 'Al l emagne et d ' Amé –
rique attiraient l'attention de la Porte
sur lesjmauvais desseins des musulmans
de cette ville contre les A r mé n i e n s .
Même situation dans les cazas de
Passen et d 'Al a shghe r d : un agha des
Ha ï d e r a n l i a r éun i une troupe de cinq
cents hommes et se dirige vers ces
deux districts où i l rencontrera la tribu
de Tchamadan qui y est é g a l eme n t
c o n v o q u é e .
(
Lettre du 20 mars.)
Même situation à De r s im. A u village
de Ga r a t h o u l , Ta h i r -Ogh l ou -Ahme d
viole la belle-fille et la femme de
Eg h i a Terzian et s'empare du j a rd i n
d ' Oh a n n è s P a g h o ï a n ; au m ê m e village,
Su l é ïma n , domestique de Fa z i l -Ogh l ou -
Vélik, viole une enfant de 9 ans, fille
d ' Agop . Le s Ku r de s ont a t t a q u é et mis
à sac le village de Ghentzlik et se p r é –
parent à attaquer et piller d'autres
villages.
S ' i l fallait une confirmation s u p p l é –
mentaire à toutes ces nouvelles sembla–
bles, de source officieuse ou de source
p r i v é e , on la trouverait dans une autre
d é p ê c h e a d r e s s é e de S a i n t - P é t e r s b o u r g
au même j ourna l le
Temps,
à l a date
du 27 j u i n , 9 h. 10 et dont vo i c i la
teneur :
L a Russie projette une entente avec quel–
ques puissances afin d'attirer s é r i e u s eme n t
l'attention de la Porte sur la situation des
A rmé n i e n s molestés par les Kurdes qui ma–
nifesteraient des intentions agressives et
créeraient ainsi des complications, risquant
de distraire le gouvernement ottoman de
l'œuvre de réforme en Macédoine.
L a seconde d é p ê c h e du
Temps
expé –
diée de P é t e r s b o u r g et non de la fron–
tière russo-allemande, t o l é r é e donc par–
la censure russe, a un c a r a c t è r e offi–
cieux. I l en faut retenir :
1
° U n fait : l a Russie aurait l'inten–
tion d'intervenir au sujet des A r mé –
niens, sinon en leur faveur;
2
° U n adverbe : la d éma r c h e diplo–
matique se ferait
sérieusement.
3
° Une plaisanterie féroce : i l ne faut
pas distraire le gouvernement ottoman
de l ' œu v r e de r é f o rme en Ma c é d o i n e . .
L e fait même p a r a î t d'abord contra–
dictoire de la politique suivie depuis
plusieurs a n n é e s par le gouvernement
russe à l ' éga r d de ses propres A r mé –
niens de Transcaucasie, s po l i é s de
leurs é co l e s et de leurs fonds de bien–
faisance et soumis à toutes les vexa–
tions po l i c i è r e s et administratives et à
l ' éga r d aussi des réfugiés A rmé n i e n s
de Turquie, t r a q u é s comme l'on sait,
et errant à la frontière, sous le fouet
des cosaques. L e
Novoyé
Vremya
d é –
clarait l'an dernier avec la permission
de la censure que les a u t o r i t é s russes
avaient envers les A rmé n i e n s les sen–
timents des a n t i s ém i t e s e n v e r s l e s j u i f s ;
et tout r é c emme n t un ému l e de Souvo -
rine, de Komaroff et de Gr i ng r un t h
confiait à un journaliste français que
l'on se trompait s i n g u l i è r eme n t en
France, quand on croyait ê t r e a g r é a b l e
à la Russie en prenant la défense des
A r mé n i e n s . M . Yé l i t c h k o ajoutait que
les A rmé n i e n s é t a i e n t les pires ennemis
de la France et de la Russie ; que le
sultan en les faisant massacrer donnait
satisfaction à la juste co l è r e des musu l –
mans ; bref ; que les victimes de Ham i d
é t a i en t les seules coupables. Il faut se
souvenir que l'auteur de ces d é c l a r a -
lions fut pendant San s , à T i l l i s , comme
r é d a c t e u r du j ou r na l officiel
Kavkaz,
l ' i n t e r p r è t e des sentiments du gouver–
neur Galitzine. Rien que la censure
interdise toute excitation à la haine
des n a t i on a l i t é s du Caucase, i l excitait
dans son j ou r na l les Gé o r g i e n s , les
Tartares et tous les A l l o g è n e s contre
l ' é l émen t A rmé n i e n . A u moment des
massacres et du tremblement de terre
d ' Ak h a l k h a l a k , i l é c r i va i t que c'était
là un c h â t i me n t du ciel contre les
A rmé n i e n s , sans s'attirer la moindre
r é p r i ma n d e . Il jouait, à Tiflis, le rôle
du r é d a c t e u r en chef du
Bessarabatz
à
Kischeneff, avec l a pleine t o l é r a n c e
et approbation du gouverneur. I l fut
d e s t i t ué de ses fonctions et e xpu l s é du
Caucase pour s'être enhardi j u s q u ' à
b l âme r indirectement le prince Ga l i t –
zine, qui avait r e çu à son bal annuel
un riche A rmé n i e n , souscripteur libéral
de toutes les œu v r e s russes de bienfai–
sance : « L e poisson stupide mo.rd à
l ' h ame ç on d'or », imprima-t-il dans son
j ou r na l , et le lendemain i l fut r é e x p é –
dié en Russie par mesure administra–
tive. Ma i s son successeur continua son
œu v r e , et on n'a pas ouï dire que le
sort des A r mé n i e n s du Caucase soif
devenu meilleur.
Il est au contraire permis de croire
qu'en s'exprimant comme i l l'a fait,
M . Ve l i t c ko traduisait l'opinion vé r i –
table des panslavistes gouvernemen–
taux et des « vrais patriotes » russes.
Cependant la Rus s i e projetterait une
entente avec quelques puissances et
voudrait attirer
sérieusement
l'atten–
tion, etc. L'adverbe a son prix : i l laisse
entendre que les d éma r c h e s faites au–
p r è s du Sultan sont le plus souvent de
pure forme, et qu'embassadeurs et se–
c r é t a i r e s du Pa l a i s en rient subtilement
à la ma n i è r e des augures antiques.
Ma i s quelles puissances se joindraient
à cette manifestation si s é r i e u s e ? et
quelle en serait l a forme?
On a même le droit de douter qu'elle
fut s é r i e u s e autrement que sur le pa–
pier : c a r i e c ommu n i q u é officieux parle
de ne pas distraire le gouvernement
ottoman de l ' œu v r e de r é f o rme en Ma c é –
doine. L ' œu v r e de r é f o rme a c o n s i s t é
j u s qu ' i c i en l'envoi de troupes nom–
breuses et en massacres partiels chaque
fois que s'offrait une occasion propice.
Même les minimes demandes de la
Russie et de l ' Au t r i che n'ont point été
é c o u t é e s s é r i e u s eme n t , pour employer
l'adverbe diplomatique.
Il d é p e n d a i t des « quelques puissan–
ces » que l'entente p r o j e t é e par la
Russie et l'action future à Constanti–
nople, ne fussent point une triste co–
mé d i e . L ' un e des mauvaises raisons
d o n n é e s j u s qu ' i c i par le mi n i s t è r e fran–
çais des affaires é t r a n g è r e s pour ne
pas prendre d'initiative, é t a i t p r é c i s é –
ment que la puissance amie et alliée
s'en pourrait offusquer. L a Russie elle-
même semble vouloir que les Kurdes
ne massacrent pas i mmé d i a t eme n t ce
qui demeure de la race a r mé n i e n n e . 11
la faut prendre au mot, et, avec l'aide
«
d'autres puissances », exiger du S u l –
tan, avec elle, le respect du t r a i t é de
Berlin et l'exécution des r é f o rme s énu -
mé r é e s dans le Mé mo r a n d um du
11
mai 1895.
S i les d éma r c h e s p r o j e t é s devaient
aboutir à des mesures dilatoires, en
p r é s e n c e d'un danger immé d i a t , les
gouvernements complices par leur iner–
tie des grands massacres de 1895-1896
devraient, du mo i n s , s ' é p a r g n e r la
honte d'une nouvelle faillite morale.
P i e r r e
Q U I L L A R O .
Fonds A.R.A.M