œuvre de destruction, les gouverne–
        
        
          ments avertis qui la lui laisseraient
        
        
          exécuter seraient, une fois encore,
        
        
          solidaires de son crime.
        
        
          Qu'on n'allègue pas le prétexte iro–
        
        
          nique inventé par un vali turc pr éd i –
        
        
          sant aux Arméniens qu'ils seraient
        
        
          exterminés sans que personne leur pût
        
        
          venir en aide : « Les cuirassés ne
        
        
          volent pas par dessus les montagnes ».
        
        
          Il ne saurait être question de répri–
        
        
          mer ou de punir directement les b r i –
        
        
          gands subalternes qui travaillent au
        
        
          loin pour le compte d'un autre : c'est
        
        
          leur chef qu'il faut frapper et l'opéra-
        
        
          tion est aisée.
        
        
          Tout le monde connaît l'organisa–
        
        
          teur des massacres, celui qui, de sa
        
        
          petite main blanche célébrée lyrique-
        
        
          ment par M . Gabriel Hanotaux, com–
        
        
          mande le meurtre : i l s'appelle Abd -
        
        
          ul-Hamid, et réside à Yldiz où, sur un
        
        
          simple signe, un domestique lui pas–
        
        
          sera le lacet au cou ou le saignera très
        
        
          respectueusement. Il le sait et i l a
        
        
          peur.
        
        
          M . Constans retourne précisément
        
        
          à son poste, le 27 février. En sa qua–
        
        
          lité d'ami personnel du Sultan, i l lui
        
        
          peut donner un bon conseil, un aver–
        
        
          tissement discret.
        
        
          S'il le prévenait, par exemple, que
        
        
          sa tête sacrée répond des têtes a rmé –
        
        
          niennes, pas plus à Sassoun qu'à Aïn–
        
        
          tab, à Diarbékir ou à Erzeroum, i l ne
        
        
          se commettrait ombre de massacre :
        
        
          car Hamid effendi, bourreau prudent,
        
        
          n'assassine jamais qu'avec la certitude
        
        
          d'être impuni.
        
        
          Le moindre doute ferait tomber le
        
        
          couteau de ses mains tremblantes.
        
        
          
            PIERRE QUILLARD.
          
        
        
          D'AINTAB, DE VAN ET D'ERZINGHIAN
        
        
          
            LETTRES D'AINTAB
          
        
        
          I
        
        
          (
        
        
          Aïntab, via Alexandrie.)
        
        
          Un Turc, de Marache, revenant d'Aïntab à
        
        
          sa patrie, fut fouillé, dans le lieu appelé
        
        
          Dérhente, par les agents de police de la
        
        
          caserne. On voit que son cheval était chargé
        
        
          de poudre à canon, de cartouches, etc. On lui
        
        
          demande où i l portait tout cela. Le voyageur
        
        
          turc répond qu'il les portait à l'un de ses
        
        
          compatriotes, à Marache. On oblige le Turc
        
        
          d'avouer que cette charge était pour les
        
        
          Arméniens d'Aïntab. On force par menace le
        
        
          voyageur à dire ainsi. Celui-ci dit aux agents :
        
        
          «
        
        
          Craignez Dieu, comment puis-je porter
        
        
          une fausse accusation contre les giaours
        
        
          innocents d'Aïntab ou de Zeitoune qui n'en
        
        
          savent rien. Celui qui m'a fait la commande
        
        
          de Marache est un Turc, celui qui envoie
        
        
          d'Aïntab est Turc, et moi qui porte je suis
        
        
          Turc. »
        
        
          A la fin, la nouvelle de ces accusations
        
        
          fausses et mensongères fut portée de la ca–
        
        
          serne à Aïntab, et les Turcs féroces ont tué
        
        
          quatre Arméniens....
        
        
          L'année passée, à Marache, on emprisonna
        
        
          onze personnes, dont deux furent acquittées,
        
        
          après avoir largement graissé la patte ; l'une
        
        
          fut condamnée à un an d'emprisonnement ;
        
        
          trois à trois ans d'emprisonnement; quatre
        
        
          personnes furent condamnées à l'interdiction
        
        
          dans une enceinte fortifiée pendant cinq ans,
        
        
          et un jeune homme de vingt ans fut con–
        
        
          damné à la mort.
        
        
          II
        
        
          Aïnlab,
        
        
          i 3
        
        
          janvier.
        
        
          A Aïntab les sévérités .ont augmenté beau–
        
        
          coup. Dans l'espace de quelques jours quatre
        
        
          Arméniens furent assassinés :
        
        
          i " Déli Nersso,
        
        
          
            
              •2
            
          
        
        
          
            
              °
            
          
        
        
          Boghar Oghlon,
        
        
          3
        
        
          ° Le fils de Yéménidji Nazare,
        
        
          4
        
        
          ° Kévork Khatchadourian.
        
        
          Le premier a été tué le matin, les autres la
        
        
          nuit.
        
        
          Un prêtre protestant, nommé Mamnosse,
        
        
          allait au collège avec quelques amis pour
        
        
          professer ; les Turcs les assaillent et bles–
        
        
          sent un Arménien. Leur but était de tuer
        
        
          Mamnosse. Le gouvernement jette la faute
        
        
          sur le collège, comme si c'étaient les élèves
        
        
          du collège qui avaient assailli les Turcs;
        
        
          on a emprisonné près de dix innocents,
        
        
          qui furent ensuite mis en liberté; mais
        
        
          environ vingt Arméniens innocents, qui ont
        
        
          été arrêtés par suite de fausses accusations
        
        
          diverses, se trouvent encore en prison. Si des
        
        
          mesures nécessaires ne sont pas entreprises,
        
        
          le commencement d'un massacre est très
        
        
          probable. Enis fait des préparatifs ; i l
        
        
          donne des ordres oralement et, profitant de
        
        
          la disposition excitée de Ramazan, i l aiguise
        
        
          la haine.
        
        
          III
        
        
          Aïntab (via Chypre),
        
        
          23
        
        
          janvier.
        
        
          A l'instant même où je viens de recevoir
        
        
          des lettres de Cilicie, je vous adresse à la
        
        
          hâte la présente, car c'est l'heure du cour–
        
        
          rier :
        
        
          «
        
        
          Le vali d'Alep, jadis le vali de Diarbé–
        
        
          kir, le si tristement renommé Enis pacha
        
        
          ayant accompli une tournée dans sa circons–
        
        
          cription, Aïntab, Kiliss et les environs, a fait
        
        
          les préparatifs d'un nouveau massacre. Le
        
        
          peuple est consterné, les emprisonnements
        
        
          sont très nombreux, les assassinats sont fré–
        
        
          quents. Les grandes portes qui, en temps de
        
        
          danger, préservent les quartiers arméniens,
        
        
          ont été démolies par ordre du Gouverneiuent.
        
        
          Dans une réunion tenue à Kiliss, ie vali a
        
        
          invité dix softas d'Aïntab à venir dans cette
        
        
          ville.
        
        
          «
        
        
          S'il est possible, i l faudrait, par te moyen
        
        
          du ministère des affaires étrangères de
        
        
          France, faire parvenir des instructions à
        
        
          l'Ambassade de Constantinople. On pourrait
        
        
          peut-être gagner du temps et éviter un nou–
        
        
          veau massacre.
        
        
          «
        
        
          Nous, nous ne pouvons rien faire ; i l est
        
        
          très possible qu'une intervention faite à temps
        
        
          pourra être utile. »
        
        
          
            LETTRE DE VAN
          
        
        
          Van, novembre
        
        
          1900.
        
        
          Après tes derniers massacres, le gouver–
        
        
          nement turc ne percevait pas d'impôt des
        
        
          Arméniens pour un certain temps, dans la ré–
        
        
          gion de Van qui avait subi beaucoup de pré–
        
        
          judice. Quelques-uns pensaient que les Armé–
        
        
          niens seraient ainsi exempts de quelques
        
        
          impôts. Mais voici que, maintenant, le gou–
        
        
          vernement a commencé à exiger les impôts
        
        
          de l'année courante ainsi que ceux des autres
        
        
          années. Pour la perception de ces impôts, le
        
        
          gouvernement a recours à de telles atroci–
        
        
          tés, que les contribuables sont obligés de
        
        
          quitter leurs habitations, de détruire leurs
        
        
          foyers et de s'enfuir du pays. Aucun des pay–
        
        
          sans ne désire être élu moukhtar (préposé de
        
        
          quartier, de village), pour la perception des
        
        
          impôts; car le paysan comprend très bien
        
        
          que ses compatriotes ne sont pas en état de
        
        
          payer les impôts exigés, et le
        
        
          
            moukhtar
          
        
        
          est
        
        
          obligé, malgré lui, de maltraiter le peuple
        
        
          désespéré et nu. Mais le gouvernement pour
        
        
          réaliser son désir, a dispersé dix ou vingt
        
        
          agents de police dans chaque village armé–
        
        
          nien, lesquels d'après la nouvelle loi hâte–
        
        
          ront la perception des impôts. Vous pouvez
        
        
          vous imaginer quel fléau ils peuvent être
        
        
          pour les Arméniens.
        
        
          Dans le village d'Artchak (près du lac de
        
        
          Van), où pendant les massacres ont été tuées
        
        
          quatre cents personnes, tous les élèves de
        
        
          l'école du lieu avec leur maître, il y avait, j adis,
        
        
          près de deux cents maisons. Aujourd'hui le
        
        
          nombre d'habitants a presque diminué de
        
        
          moitié et i l diminue de jour en jour.
        
        
          Après tant de pertes, le paysan doit aujour–
        
        
          d'hui payer l'impôt annuel. Quatre médjidiés
        
        
          pour les adultes et deux médjidiés pour les
        
        
          enfants en bas âge;ily a aussi l'impôt pour le
        
        
          blé —dont le huitième appartient au gouver–
        
        
          nement. Pour percevoir ces impôts les agents
        
        
          de police tombent sur le village et commet–
        
        
          tent toutes les atrocités sur les pauvres pay–
        
        
          sans. Quand les agents de police ont des dif-
        
        
          licultés pour la perception des impôts, les
        
        
          soldats surviennent et pillent sur le champ
        
        
          tout le village. Ils entrent dans les maisons
        
        
          en vociférant : « C'est l'ordre du Sultan, i l
        
        
          faut payer ! » ; ils détruisent tout, ils donnent
        
        
          des bastonnades terribles, et commettent des
        
        
          atrocités ; malheur à celui qui tombe dans
        
        
          leurs mains ; les paysans s'enfuient épouvan–
        
        
          tés, en laissant devant eux leurs habitations
        
        
          sans maître...
        
        
          A Artchak réside le kaïmakam des vil–
        
        
          lages environnants de Van, personnage qui
        
        
          Fonds A.R.A.M