E t ce ne sera pas pour former de
vains souhaits, pour jeter d'inutiles
plaintes. Ce que vous r é c l ame r e z ,
comme nous l'avons r é c l amé , est p r é –
cis, l éga l , pratique. C'est la pleine
exécution de traité de Re r l i n . Ce traité
institue la tutelle de l ' Eu r ope sur l'em–
pire ottoman. E s t - i l possible que l ' E u –
rope dise au Sultan Rouge : Tue ,
pourvu que tu payes ? E s t - i l possible
que l ' Eu r ope tutrice, et par c o n s é q u e n t
responsable, qui se juge suffisamment
a rmé e par les t r a i t é s pour faire rentrer
au coup de canon des c r é a n c e s en
souffrance à Constantinople, s'estime
impuissante devant regorgement de
trois cent mille sujets du sultan ? L a
question financière i n t é r e s s e seule les
E u r o p é e n s , diront les monstrueux
é g o ï s t e s qui se croient sages.
Messieurs, c'est aussi une question
é c o n om i q u e et financière que regorge–
ment de tout un peuple.
E n obtenant la pleine exé cu t i on du
t r a i t é de Re r l i n , en même temps que
vous rendrez la vie à l ' Armé n i e assas–
s i né e , vous procurerez aux É t a t s euro–
p é e n s , et p a r t i c u l i è r eme n t à l'Italie, des
avantages é c o n om i q u e s certains, puis–
que dans la Turquie soumise au con–
t r ô l e e u r o p é e n , le commerce pourra
se d é v e l o p p e r librement.
L ' o p i n i o n est une grande force.
C'est en notre temps, dans une partie
de l ' Eu r ope , la plus grande des forces.
P a r un effort de l'opinion publique
italienne unie à l'opinion publique des
autres peuples civilisés, on peut e s p é –
rer que se fondera le droit interna–
tional, comme fut fondé voilà un siècle
le droit c i v i l .
Je m ' a r r ê t e . M . Rarsilai saura défi–
nir devant vous avec une haute auto–
rité l ' œuv r e à laquelle vous ê t e s con–
v i é s . Po u r mo i , s i votre bienveillance
permet à votre hô t e d'un j ou r de vous
ouvrir son cœu r , rien ne me sera plus
doux que de voir la p e n s é e italienne
unie à la p e n s é e f r anç a i s e dans une
œu v r e de sagesse et d ' h uma n i t é .
Anatole F R A N C E .
Coupures de journaux
Agence
OBSERVER
Wien X I , I. Turkenstrasse, 1 ~
SUCCURSALES A " ,
Budapest, Genève, Londres,
New-York,
Paris, Rome,
Stockholm.
LA QUINZAINE
1
Le Sultan, les Armén i en s & les Kurdes.
Ap r è s avoir visité Florence, Rome et
A t h è n e s , et p r o n o n c é d'excellents dis–
cours à la gloire de la culture h e l l é –
nique et latine, M . Ch a um i é , ministre
français de l'Instruction publique, ac–
c omp a g n é de son jeune fils et de
M . Roujon, directeur des Reaux-Arts,
est allé à Constantinople, en simple
touriste. Il n'en a pas moins é t é r e ç u
par le Su l t an , un j ou r de Sé l aml i k .
Selon les d é c l a r a t i o n s faites par l ' ho –
norable M . Ch a um i é à M . Maurice
Leudet, du
lùgaro,
i l n'a été aucune–
ment question de politique en cette
entrevue.
Le Sultan s'est c o n t e n t é de m'interroger
sur mes impressions de voyage.
A mon jeune fils, i l a d ema n d é s'il se ren–
dait compte de la bonne fortune qu'il avait
eue en voyant tant de pays.
Avec M . Roujon, i l a p a r l é en connaisseur
du Musée de Constantinople... Et ce fut
'
out.
Il faut attribuer à l a cu r i o s i t é , au
désir de voir en face le plus exé c r ab l e
des assassins la condescendance de
M . Ch a umi é à un entretien avec A b d -
u l -Hami d . Sinon, i l se fût c o n t e n t é du
magnifique spectacle de la ville aux
sept collines, entre la mer et la Corne
d ' Or ; et dans les rues é t r o i t e s fleuries
de glycines et de roses qui parent la
ruine des maisons croulantes, i l eû t
e s s a y é d'oublier que le sang de p l u –
sieurs milliers d ' A rmé n i e n s avait coulé
n a g u è r e . M . Ch a um i é a voulu donner
à son fils une leçon d'histoire contem–
poraine; i l a tenu à l u i montrer en sa
cage d ' Y l d i z la Rête Rouge que demain
p e u t - ê t r e les chefs des gouvernements
e u r o p é e n s seront ob l i g é s de faire
abattre pour avoir trop longtemps favo–
risé sa folie de meurtre et d ' é g o r g e -
ments.
Av e c la même ironie féroce qui l u i
permit probablement de parler en
connaisseur à M . Roujon, de l'admi–
rable sarcophage des
Pleureuses
et des
formes v a r i é e s que peut prendre la
douleur humaine, S. M . I. demanda au
jeune homme s'il se rendait compte de
la bonne fortune qu ' i l avait eue en
voyant tant de pays ; Ab d - u l - Ham i d
lui a-t-il aussi d ema n d é s ' i l se rendait
compte du violent contraste qu ' i l y
avait entre les paroles de civilisation
é v o q u é e s sur les livres du ministre
par les souvenirs de l a sainte He l l as
et de la sainte Italie et sa visite à Y l d i z
où domine, avec l ' é p o u v a n t e , la haine
de toute intelligence et lemé p r i s for–
c ené de toute h uma n i t é ? M . Constans,
subtil et sceptique, devait sourire, à
part l u i , de l'audience imp é r i a l e et des
propos é c h a n g é s .
Il sait fort bien, en effet, ce qui se
machine entre le sultan et ses conseil–
lers, encore qu ' i l n é g l i g e d'en faire
mention dans ses d é p ê c h e s et i l avait
pu dire au ministre quelles nouvelles
tueries mé d i t e , dans ses conciliabules
avec les chefs kurdes, l'Assassin tou–
jours assoiffé de carnage. Cette a n n é e ,
comme f a n dernier, les chefs kurdes se
sont d o n n é rendez-vous pour le prin–
temps dans la plaine de Mo u s h et si
l'attention des gouvernements euro–
p é e n s se laisse d é t o u r n e r des provinces
a rmé n i e n n e s , le projet a vo r t é en 1902
pourrait venir à bien en 1903. Déjà la
Porte fait dire que « des bandes r é v o –
lutionnaires a r mé n i e n n e s ont p a s s é la
frontière persane dans le Sandjak de
Rayazid et dans le district de Sassoun
et que le gouvernement turc a a d o p t é
des mesures é n e r g i q u e s . » Nu l n'ignore
ce que sont ces mesures é n e r g i q u e s :
elles ont été emp l o y é e s , i l y a sept ans,
avec un entier s u c c è s et trois cent mille
morts, non v e n g é s , en attestent l'effi–
cacité.
Tandis qu'ils suivaient vers Y l d i z le
chemin tragique qui mè n e au cime–
tière de P a n c a l d i . où les cadavres ar–
mé n i e n s é t a i en t conduits par char–
r e t é e s en 1896, M . Constans aurait pu
r évé l e r encore à M . Ch a um i é que la
politique suivie à l ' éga r d des Kurdes
pousserait infailliblement le Sultan à
ordonner de nouveaux massacres.
Lo r s qu e furent c r é é s les r é g i me n t s
h ami d i é s , c'est-à-dire lorsque des ar–
mes, des d é c o r a t i o n s , une solde pres–
que r é gu l i è r e furent a l l ou é s aux chefs
kurdes, le sultan avait un double but :
s'assurer des e x é c u t e u r s impitoyables
de ses vo l on t é s et en même temps
ruiner l'organisalion féodale des tribus
kurdes. Le s chefs, les
loroun
voient en
effet peu à peu s ' é v a nou i r leur pres–
tige et leurs serviteurs devenir leurs
é g a u x par les grades militaires qui leur
sont con f é r é s . L ' h o s t i l i t é ancienne des
Kurdes contre les a u t o r i t é s turques, un
moment dé r i vé e exclusivement contre
les A rmé n i e n s , r e n a î t peu à peu. Certes
le Ku r de qui n'est point cultivateur et
Fonds A.R.A.M