LA SITUATION A VAN
D'après une dépèche de Tauris,
reçue
via
Indo-péninsulaire,
à la rédaction
de
Droschak,
des événements
graves ont
eu lieu à Van le 4/17 janvier.
A la
suite d'un con/lit entre des
Arméniens
révolutionnaires
et les troupes turques,
il y a eu de part el d'autre des morts et
des blessés. De nombreuses
perquisi–
tions et arrestations
ont été
opérées
avec les procédés
de violence
ordi–
naires. L'anxiété de la population
armé–
nienne est plus cruelle que jamais.
LA QUINZAINE
EN ITALIE
Pendant quatre heures, e n t a s s é e au
t h é â t r e des Fos s a t i , alors que le clair
soleil de printemps invitait à la prome–
nade, une foule de p l us de quatre mille
personnes, hommes politiques, hommes
de lettres, femmes du peuple en che–
veux a u p r è s de dames en belle toilette
dominicale, a é c ou t é hier avec une
attention p a s s i o n n é e les onze orateurs,
d'opinions philosophiques et politiques
diverses, de langues et de patrie diffé–
rentes qui venaient l u i d é n o n c e r les
crimes lointains commi s chaque j ou r
en A rmé n i e et en Ma c é d o i n e par la
vo l on t é de S. M . I. Ab d - u l -Hami d ,
l'inertie c omp l è t e des grandes puis–
sances e u r o p é e n n e s , le danger que leur
inaction faisait courir à la paix du
monde.
Déjà, à Pa r i s , le 15 février, des ora–
teurs illustres avaient pendant de l on –
gues heures qui parurent b r è v e s , tenu
suspendus à leurs l èv r e s des milliers
d'auditeurs, é p o u v a n t é s que de tels
attentats fussent possibles en un siècle
de soi-disant civilisation, i nd i gn é s et
surpris que ces faits connus cependant
des gouvernements leur eussent à
peine été r é v é l é s par les d é b a t s parle–
mentaires et par les journaux ; et ce ne
fut pas le moins admirable r é s u l t a t de
cette inoubliable manifestation que
l'initiation d'un public populaire, par
des hommes c omp é t e n t s et d'une haute
é l o q u e n c e , aux my s t è r e s sacro-saints
de la diplomatie r é s e r v é s d'ordinaire
j usqu ' i c i à de graves et solennels per–
sonnages qu i font profession d ' ê t r e
muets.
A Mi l a n , la bonne vo l on t é intelli–
gente et la patience des auditeurs fu–
rent soumises à une é p r e u v e encore
plus ardue. Sans doute, tous les j ou r –
naux de la ville sans distinction d'opi–
nion, depuis le
Tempo
socialiste et la
r é pub l i c a i n e
Italia del Popolo
j u s q u ' à
YOsservatore catlolico,
depuis le libé–
ral
Secolo
jusqu'aux journaux conser–
vateurs
Corriere délia Sera,
Lombar-
dia, Perseveranza
avaient invité leurs
lecteurs à s'associer à une œu v r e d'hu–
ma n i t é et de justice et l'appel aux c i –
toyens de Mi l a n , s i gné de noms i l l u s –
tres, affiché sur les murs de la ville,
ne pouvait
demeurer sans
é c h o .
Sans doute aussi les allocutions g é n é –
reuses du p r é s i d e n t Gno c c h i V
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iani et
de T . Moneta qu i sont e n t o u r é s de l a
v é n é r a t i on universelle, le discours plein
de faits et d'arguments de P i na r d i , la
harangue enflammée de Mi c e l i , la pa –
role simple et forte de Georges Lo r a n d ,
qui s'exprime en italien aussi a i s éme n t
qu'en français, l ' é l oqu e n c e vibrante de
don Verceci, la dialectique subtile, la
sarcastique ironie de Turati, l'affirma–
tion de s o l i da r i t é a p p o r t é e par l ' é t ud i a n t
Cl e r i c i au nom de la
Corda
fralres
devaient retenir l'attention et soulever
l'émotion de l'auditoire. Ma i s encore
cet auditoire a suivi et compris, par un
miracle de vo l on t é , par un violent
effort pour c onn a î t r e , les discours des
trois orateurs qui p a r l è r e n t en fran–
çais, du docteur L o r i s Mélikoff, de
S. Radeff et de mo i - même .
Pendant une demi-heure, scrutant
les visages de ces hommes et de ces
femmes à qui i l fallait exposer en une
langue mal ou point connue de la p l u –
part d'entre eux des é v é n eme n t s qui ne
les touchaient pas d'une ma n i è r e i m –
mé d i a t e et leur é t a i en t aussi mal ou
point connus, je saisissais sur les
ligures tendues et c o n t r a c t é e s le pro–
g r è s de la d émo n s t r a t i o n lentement
acquise. L a p r é s e n c e de cette foule, sa
ferme vo l on t é de savoir était la me i l –
leure r é p o n s e à une objection t r è s
grave qui nous est souvent a d r e s s é e par
les personnes pratiques. Elles nous r é –
p è t e n t le c r i mé l a n c o l i q u e et irrité
d'Hamlet : « Des mots ! des mots ! des
mots ! »
Des mots certes, mais qui p r é c è d e n t
et qui provoquent l'action. Dans les
pays d'opinion publique, dans les pays
comme la France, l'Italie et l ' Ang l e –
terre surtout, où le sentiment popu –
laire influe, quoiqu'ils s'en veuillent
défendre, sur les gouvernements, c'est
d'abord en faisant c o n n a î t r e aux peu–
ples les a t r o c i t é s commises en terre
turque que nous obligeons peu à peu
nos ma î t r e s à tenir un peu plus compte
des engagements qu i les lient par les
t r a i t é s et auxquels ils voudraient se
soustraire.
Le s gouvernements s p é c u l e n t trop
volontiers snr l'ignorance des peuples
en ma t i è r e de politique e x t é r i e u r e .
E c r a s é e s sous le lourd fardeau de leurs
propres m i s è r e s , b r o y é e s par la meule
des fatalités sociales, comment les
masses populaires pourront-elles en–
core s ' i n t é r e s s e r à des. souffrances
effroyables, mais lointaines? A quoi
sert de leur parler de valis, de bachi–
bouzouks, de Ku r de s , d 'Al bana i s , d ' A r –
mé n i e n s , de Ma c é d o n i e n s ?
A quoi ? à ceci.
A leur faire comprendre que ces
é v é n eme n t s lointains les touchent plus
qu'elles ne pensent, et que si leur
conscience et leur sensibilité se révol–
tent à la p e n s é e que de telles horreurs
soient possibles, leur i n t é r ê t leur com–
mande de ne s'en point d é s i n t é r e s s e r .
E t c'est ainsi qu'hier à Mi l a n le p r ê t r e
catholique Don Vercesi reprenait les
arguments m ê m e s de M . Ernest L a -
visse, en 1897, et montrait le danger
qu ' i l y a pour les peuples à ignorer ce
qui se passe ailleurs.
Toutes les nations d'Europe peuvent
ê t r e demain p r é c i p i t é e s les unes contre
les autres dans une guerre formidable
parce que sur le Va r da r ou sur l ' E u -
phrate, les assassins hamidiens auront
repris leur œu v r e . L e s hommes d'Etat
qui se disent r é a l i s t e s respirent sans
d é g o û t l'odeur du sang v e r s é ; i l leur
est indifférent que le sultan é g o r g e trois
cent mille de ses sujets pourvu qu'en
é c h a n g e leurs nationaux ou e u x - même s
obtiennent des concessions de mines et
de chemins de 4'er ou d'infamantes d é –
corations; ils ne veulent pas songer,
eux qui se p r é t e n d e n t sages et p r é –
voyants, aux catastrophes possibles et
ils oublient que pour avoir nég l i gé leur
devoir strict qui est d'appliquer les
t r a i t é s , ils risquent de provoquer, non
pas en As i e ou en Ma c é d o i n e , mais au
cœu r de l ' Eu r ope , dans la Mé d i t e r –
r a n é e , sur le Danube ou sur le Rh i n ,
la guerre hideuse et d é t e s t é e .
Quant à Pa r i s , à Rruxelles et à M i –
lan, b i en t ô t p e u t - ê t r e à Rome et à
Fonds A.R.A.M