lui appartiendra bien certainement, oh ! je
ne p r é t e n d s qu'il se tiendra pleinement sa–
tisfait; je ne prétends pas qu'il cessera de
songer à ses frères de race qu i , au nord-est,
à l'est, au sud-est, forment des nations indé–
pendantes ; ce qui est sûr, c'est que, ma l g r é
toutes les excitations, i l sera moins impatient
de sa condition présente et (pie les puis–
sances auront la liberté de rechercher dans
quelle mesure la réalisation de ses aspira–
tions se peut concilier avec le maintien de
l'équilibre de l'Europe et la conservation de
la paix. (
Très bien ! 1res bien!)
11
est hécèssatré que ces réformes aboutis–
sent. Il appartenait à la Russie, qui a tant
fait pour les nations balkaniques
[
Très bien!
très bien!)
et à l'Autriche, voisine, d'en p r é –
senter le programme à la Porte. L a France,
dont l'adhésion était d'avance certaine, en a
i mmé d i a t eme n t d ema n d é l'application. Tou–
tes les autres puissances ont fait de môme
et aussitôt la Porte a l'ait savoir qu'elle
acceptait ce programme i n t é g r a l eme n t , sans
aucune modification.
M . LE LIEUTENANT-COLONEL
ROUSSET. —
Elle ne l'exécutera pas.
M . FRANCIS DE PRESSENSÉ.
—
Je demande
la parole.
M . LE MINISTRE.
—
Nous voulons espérer
que, se rappelant eé qui est résulte chaque
fois pour elle des commotions violentes que
les abus de son administration avaient pro–
v o q u é e s , et stimulée d'autre part par 1 active
surveillance des puissances qui ne se relâ–
chera pas, la Porte exécutera avec autanI de
sincérité qu'elle a mis d'empressement à les
accueillir...
M . GEORGES BERRY.
—
Vo u s vous en portez
garant ?
M . LE MINISTRE.
—
...
ces réformes au suc–
cès desquelles c'est la Turquie, au surplus,
qui est la première intéressée.
Dieu me garde de vouloir pousser les
choses au noir ; mais i l ne faut pas se dissi–
muler qu'il y a là une situation sérieuse et
qui mérite d'autant plus notre vigilance que
c'est en un point de l'Europe particulière–
ment délicat que s'est formé le nuage que
les communs efforts des puissances tendent
à dissiper.
M. RIBOT
Cette question de la Macédoine, nous ne
pouvons pas, nous ne devons pas nous en
d é s i n t é r e s s e r ; on nous en a d o n n é les rai–
sons décisives.
Il n'y a pas seulement une raison d'hu–
manité, une raison d'attachement à ces
grands principes qui ont été de tout temps
l'honneur de la France, ces principes de
civilisation et de protection des o p p r imé s .
Tout cela est fort respectable ; tout cela est
à l'honneur de notre pays. Mais i l y a une
autre raison que M . de Pressensé a i n d i q u é e
hier, qui est une raison politique : c'est que
si nous laissions, si l'Europe laissait s'en–
gager dans la péninsule des Balkans entre
les divers petits Etats et principautés inté–
ressés ces luttes d'influence ou de races
auxquelles on à fait allusion hier, personne
ne serait maître de limiter le conflit, et que
l'orage, qui pourrait se former sur les rives
du Vardar, pourrait bien éclater autre part.
(
Très bien ! 1res bien !)
Nous avons donc le devoir d'être v i g i –
lants et, nous qui souhaitons la paix, nous
avons le devoir de faire tout ce qu'il est
honorable de faire pour emp ê c h e r ce conflit
d'éclater.
Heureusement, —et c'est ce qui m ' emp ê –
che d'être pessimiste ; — la Bussie et l ' A u –
triche se sont entendues, non pas hier, mais
en 1898, pour emp ê c h e r p r é c i s éme n t cette
conllagration, ce conflit d'intérêts si mena–
ç a n t pour la paix de l'Europe ; elles ont fait
un arrangement qui dure encore à cette
heure pour écarter tous ces conflits, pour
maintenir le
statu quo
territorial dans la
péninsule des Balkans. Elles se sont enten–
dues en 1897 et l'accord tient encore aujour–
d'hui : témoin ce voyage du comte Lams-
dorf, à Vienne et dans les p r i n c i p a u t é s ;
témoin aussi les mesures très é n e r g i q u e s
que prend en ce moment le cabinet de
S a i n t - P é t e r s b o u r g pour faire sentir que ce
n'est pas une apparence que, c'est sa volonté,
en même temps que celle de l'Autriche, et
celle de l'Europe, d ' emp ê c h e r que, soit la
Bulgarie, soit une autre puissance, ne prenne
l'initiative d'allumer l'incendie.
E n même temps, ces deux puissances
exercent une pression sur Constantinople.
Elles ont raison, c'est leur devoir; elles ne
peuvent retenir ces principautés, ces monar–
chies, qu ' à la condition d'améliorer la situa–
tion de toutes ces races o p p r i mé e s r é p a n –
dues, comme l'a décrit hier M . de P r e s s e n s é ,
dans cette région de la Macédoine. Elles ont
rempli leur dîvoir, et nous nous sommes
joints à elles pour approuver leur initiative,
pour la fortifier de notre a d h é s i o n ; c'est là
notre politique et nous ne pouvons pas en
avoir d'autre.
Que ce soit un mi n imum, comme l'a dit
M . de Pressensé, soit. Je désire avec lui que
nous é t e n d i o n s le champ de ces réformes,
que nous arrivions à les consolider par la
constitution d'un contrôle permanent.
(
Très
bien! très bien!)
Mais j'ajoute que nous ne pouvons, pas
faire cela seuls, que nous devons rester en
constant accord avec les puissances aux–
quelles l'initiative appartient, c'est-à-dire la
Bussie et l'Autriche, que, nous devons faire
ce que l'ait l'Angleterre, ce que font toutes
les nations qui veulent la paix.
M . le ministre des affaires é t r a n g è r e s le
fera certainement. Je n'ai aucun reproche à
adresser à sa politique dans cette question.
J'ai lu le Livre jaune, i l lient à toutes les
liages le langage qui convient à la France,
le langage d'une nation qui n'a pas la pré–
tention de conduire la politique en cette
matière, mais qui est prête à apporter le
concours de sa puissance morale à toutes les
négociations.
(
Applaudissements).
J'approuve cette politique; mais je ne
comprends pas tout à fait ce que disait hier
l'honorable M . de Pressensé. 11 nous disait,
dans un discours fort remarquable : « Que
fait la diplomatie en Orient? Elle s'attache à
de vieux dogmes usés comme celui de l'inté–
grité de l'empire ottoman. Quelle vieillerie
que ce dogme de l'intégrité de l'empire
ottoman ! »
M . FRANCIS DE PRESSENSÉ.
—
Je la défends.
M . BIISOT.
—
E h ! oui, i l y a, en diplomatie
comme i l y a bien un peu aussi en politique,
vous en conviendrez, messieurs, de vieux
dogmes auxquels ou tient beaucoup, bien
qu'ils soient quelquefois un peu d émo d é s .
(
Rires approbalifs.)
Mais le dogme de l'inté–
grité de l'empire ottoman est-il tout à l'ait
t omb é au rang de ces dogmes finis dont on
peut annoncer la chute ?
Quelques instants plus tard, l'honorable
M . de Pressensé disait : « Nous sommes
tous désireux de maintenir, en Macédoine,
l'intégrité de l'empire ottoman ; nous la
c o n s i d é r o n s comme une sorte de doctrine
de Mo n r o ë . . . »
M . FRANCIS DE PRESSENSÉ.
—
Voulez-vous
me permettre une observation, monsieur
Bibot.
M . BIISOT.
—
T r è s volontiers!
M . FRANCIS DE PRESSENSÉ.
—
Je n'ai pas
dit que le dogme vieilli qui pèse encore à
l'heure actuelle sur la diplomatie est celui
de l'intégrité de l'empire ottoman ; j ' a i dit
—
ou en tout cas j ' a i voulu dire — que ce
dogme vieilli, c'est la formule, d'après moi,
c omp l è t eme n t fausse aujourd'hui, de l'inté–
grité et de l'indépendance de l'empire otto–
man; et je m'efforçais hier de d émo n t r e r
que si nous croyons à p r é s e n t indispensable
de maintenir cette intégrité, particulière–
ment dans cette région de Macédoine qui
est l'objet de tant de convoitises diverses,
nous ne pouvions le faire qu'en limitant pré–
cisément l'indépendance de l'empire otto–
man. J'ai essayé é g a l eme n t d'établir que la
diplomatie, qui se laisse encore guider en
ce moment par la formule qui avait prévalu
en 1856, se laissait hypnotiser par un dogme
vieilli, usé et qui n a plus de raison d'être.
(
Très bien! très bien! à l'extrême gauche.)
M . RIBOT..
—
Il n'y a rien de tel que de
s'expliquer. M . de P r e s s e n s é veut fortifier
l'intégrité de la Turquie en diminuant gra–
duellement son i n d é p e n d a n c e .
M . FRANCIS DE PRESSENSÉ.
—
C'est l'his–
toire même !
M . J AUR È S .
—
C ' e s t ce que vous faites vous-
même , monsieur Bibot, en demandant le
contrôle.
M . CHARLES DUMONT.
—
La Turquie a tou–
jours considéré les Commissions permanen–
tes comme un
casus belli !
M . BIISOT.
—
C'est.l'histoire même , dites-
vous. En effet, i l y a déjà longtemps que
l'indépendance de ta Turquie a reçu quel–
ques légères atteintes, et je ne m'effarouche
pas du tout du langage qu'a tenu M . de
P r e s s e n s é ; l'essentiel, c'est qu'il est d'accord
avec nous sur ce point que nous devons
maintenir l'intégrité de l'empire ottoman,
que c'est fà notre sécurité, non seulement
parce que l'intégrité de l'empire ottoman
emp ê c h e les violences, les représailles de
race à race, mais parce qu'elle emp ê c h e
aussi peut-être des conflits autrement i n –
q u i é t a n t s entre des grandes puissances qu i
n'ont pas absolument les même s intérêts ni
les même s vues d'avenir.
Nous sommes donc d'accord, et je ne crois
pas qu'il soit utile de prolonger davantage
cette discussion. Nous donnerons à M . le M i –
nistre des affaires é t r a n g è r e s l'approbation
dont i l a besoin pour continuer, dans les ter–
mes qu'il a i n d i q u é s par les livres jaunes la
politique qu'il a suivie dans les Balkans.
Si dans cette question d'Orient, où nous
avons des intérêts communs avec l'Europe,
M . le Ministre des affaires é t r a n g è r e s a suivi
la ligne qui l u i est indiquée, j'aurais peut-
être pour ma part quelques réserves à faire
sur d'autres points de la politicpre où nous
avons des intérêts qui nous sont plus exclu–
sivement propres, moins communs avec
l'ensemble de l'Europe.
M. FRANCIS DE PRESSENSÉ
Av a n t le vole de l'ordre du j o u r ,
M . F r a n c i s de P r e s s e n s é a insisté à nou–
veau sur la n é c e s s i t é d'une action é n e r –
gique sur le sultan.
En second lieu, M . le Ministre des affaires
é t r a n g è r e s est venu* tenir ici un langage
tout à fait excellent — d'autant meilleur
qu'il reflétait le n ô t r e — au sujet de la si–
tuation en Orient. Mais de môme que dans
la plupart de ces dépêches et dans l'action
qui s'exerce à Constantinople, je trouve que
les c o n s i d é r a n t s sont admirables, mais (pie
le dispositif n'existe pas, de môme aujour–
d'hui dans cette espèce d'impuissance à
conclure qui est le malheur de notre diplo–
matie, au lieu de se rallier à l'idée du con–
trôle permanent, de l'intervention efficace à
l'heure actuelle, sans perdre un moment, à
Constantinople, i l nous a offert purement et
simplement la réitération des d éma r c h e s
dont i l nous a dit lui-même, aussi sévère et
aussi juste que le plus pessimiste d'entre
nous, q u ' a p r è s avoir obtenu des promesses
positives et innombrables du sultan, elles
n'avaient jamais é t é exécutées et que rien
n'avait élé fait.
Le Secrétaire-Gérant
:
J E AN LONGUET.
L ' É M A N C I P A T R I C E , i m p r i m e r i e c o mm u n i s t e ,
3,
rue de P o n d i c h é r y , Paris (xv"),
E d . G A U T H I E R , administ.-délégué.
Fonds A.R.A.M