ment de l'impunité et s'imaginent qu'il
n'y a plus d'Europe. Justice sera ren–
due à cet Enis pacha, comme aux
autres; à cet Enis pacha surtout.
L'ambitieux vali se croit inaccessible;
i l se trompe; i l a voulu se distinguer
par la science et le raffinement de ses
organisations meurtrières; eh bien, i l
s'est distingué en effet, et nous n'ou–
blierons pas son nom. Celui qui se
sert de l'épée périra par l'épée, et la
tête du bourreau tombera, elle aussi,
sous le glaive du bourreau.
Continuez votre propagande, dénon–
cez non pas aux gouvernements, mais
à l'humanité tout entière, les assas–
sins; l'humanité ne va pas tarder à
s'émouvoir, les gouvernements l u i
obéiront et les criminels trembleront
non pas de remords, mais de peur à
l'approche du châtiment.
L'Europe se dédommage r a sur le
sultan de tous les déboires et de toutes
les humiliations qu'elle aura subies
en Chine, et le sultan se dédommage r a
sur les fonctionnaires qui l'auront
trop compromis par leur excès de zèle
exterminateur.
Comptez sur ce juste retour des
choses. Mais, en attendant, sachez du
moins que vous ne criez pas dans le
désert. Le ministre actuel des affaires
étrangères en France n'est pas, j ' en
suis sûr, homme à fermer son cœu r à
la pitié, et nous sommes plusieurs à la
Chambre des députés et au Sénat qui,
sans distinction dépa r t i , ne craindrons
pas d'exprimer comme vous notre
indignation.
D'EsTOURNELLES
DE
CONSTANT.
LA QUINZAINE
Abd-ul-Hamid est inquiet.
Sans doute quelques joies lui furent
données récemment. Sur la place de
l'At-Meïdan, entre la colonne Serpen–
tine et l'Obélisque de Théodose, on a
inauguré la fontaine offerte, par son
tout-puissant ami, Guillaume II, em–
pereur d'Allemagne ; et l'ambassadeur
baron Marscliall von Biberstein, de–
vant la foule multicolore de Stamboul,
a proclamé que « les sentiments de son
auguste souverain à l'égard du Sultan
étaient indestructibles comme le mar–
bre, inépuisables et purs comme l'eau
même des sources » ;et autour du mo–
nument, en signe visible d'alliance et
de protection, le carré était formé par
deux bataillons du régiment de Plewna
auxquels s'étaient joints les équipages
du
Moltke
et de la
Lorelei.
Certes l'amitié du kaiser, comme
toute amitié européenne, est dispen–
dieuse, et i l a fallu encore verser
80,000
livres d'à-compte à la maison
Krupp. Mais c'est le peuple turc qui
paie et toute la gratitude n'en est pas
moins pour le khalife qui le saigne aux
quatre membres.
Il est vrai que la caravane sacrée a
dû s'arrêter à mi-route de la Mecque,
faute d'argent. Les bons musulmans
pourraient trouver sacrilège un retard
pour de tels motifs. La Banque Otto–
mane et la Dette refusent par hasard
de donner un seul para. Que faire? Les
chemins de fer d'Anatolie avanceront
50,000
livres et la Succursale du Cré–
dit Lyonnais 27,000, sur la signature
du ministre syriaque des mines et
forêts, Selim effendi Malhamé.
Qu'importe que le Trésor public
soit vide si les caisses d'Yldiz sont
pleines ?
Cependant Abd-ul-Hamil est inquiet.
Serait-ce parce que de tous côtés, la
tranquillité de l'empire est troublée?
Sur la frontière monténégrine, ba–
garres presque quotidiennes autour de
Plewa et de Gusïnje.
En Albanie, à Dibra, jamais pacifiée,
les habitants ont chassé leur gouver–
neur, et trois Albanais arrêtés et em–
prisonnés à Yakova ont été délivrés
par leurs camarades.
Dans le vilayet de Basra, occupé
mais non soumis en entier par les
fonctionnaires du padischah, on avait
omis de payer le subside annuel que
touche en signe de suzeraineté le
chef de tribu Ibn-el-Raschid. Celui-ci,
créancier mal endurant, se mit à la
tête de quelques milliers de carabiniers,
marcha sur Koweït et prit la ville,
y compris le ka ïmakam qui y repré–
sente l'Ombre de Dieu. Aussitôt, le
va l i de Basra envoya une brigade à
Koweït : pour se battre ? non, pour
payer ; bon exemple pour les ambas–
sadeurs qui ont tant de peine à se faire
verser les indemnités arméniennes.
Mais les désagréments de ce genre
troublent peu Hami d : ils ne l'attei–
gnent pas personnellement et c'est peu
pour lui que de perdre une province
pourvu que sa peau
d'assassin
demeure indemne
d'égratignures ;
i l a perdu l'Egypte, perdu la Tunisie,
perdu la Bulgarie et la Roumélie orien–
tale, perdu la Thessalie, perdu la
Crète; demain i l perdra l'Epire et la
Macédoine. I l n'en a cure : sa per–
sonne sacrée reste intacte et conserve
assez de puissance pour faire exécuter
les plus fastueux massacres qui aient
déshonoré l'humanité.
Abd-ul-Hamid est inquiet pour l u i -
même .
Le shah de Perse qu'il a gravement
offensé lors de son passage à Constan–
tinople se venge à sa man i è r e en per–
mettant aux Arméniens d'ouvrir des
écoles et de prospérer dans l'Iran et en
décorant nombre d'évêques a rmén i ens
et le patriarche Ormanian qui paraît
décidé à défendre plus énergiquement
sa nation. Premier chagrin pour Ha–
mid.
Ses excellents amis les Russes mon–
trent à leur tour de ces brusques exi–
gences contre quoi i l est mal aisé de
résister. Ils ne veulent pas oublier
qu'un gérant de leur consulat a été
attaqué par les Kurdes et dévalisé. Ils
réclament même pour les déprédations
dont furent aussi victimes les habitants
de la région. Et voici qu'ils ne se con–
tentent plus de la constitution d'un
tribunal qui pourrait, selon la cou–
tume, ne juger personne : ils veulent
que les coupables soient d'abord arrê–
tés et pr é t enden t surveiller les débats.
Pour se méfier ainsi de la justice ha-
midienne, auraient-ils quelque mau–
vais dessein contre Hamid lui-même ?
Quant au shah et aux « Moskovs »,
Hamid effendi se rassure et se fait en–
core assez vite une raison. Mais c'est
d'ailleurs, cette fois, d'un pays qu'il
n'est plus accou t umé à craindre que
lui viennent les pires inquiétudes.
Abd-ul-Hamid doute sérieusement
Fonds A.R.A.M