c'était un papier noirci, plié en deux, dont
        
        
          les quatre pages étaient é g a l eme n t pleines
        
        
          de noms propres.
        
        
          Je vis le jeu et je fus a t t e r r é . D'où est venu
        
        
          ce papier? Le sceau du sac était intact, ce
        
        
          qui prouvait que le sac n'avait pas été ouvert.
        
        
          Pour gagner du temps, je tournai le papier
        
        
          de côté et d'autre dans mes mains.
        
        
          — «
        
        
          Qu'est-ce que tu trines? demanda
        
        
          l'agent.
        
        
          — «
        
        
          Ce papier n'est pas à mo i », ai-je
        
        
          r é p o n d u .
        
        
          — «
        
        
          Le scellé du sac n'a pas été ouvert,
        
        
          c'est toi qui l'as scellé de tes propres mains,
        
        
          j ' e s p è r e que ce ne sont pas les d émo n s qu i
        
        
          ont mis ce papier-là dans ce sac », et d'un
        
        
          air furieux, i l jeta le sac devant moi ; c'est ce
        
        
          que je voulais. Je savais, moi aussi, qu'il ne
        
        
          s'agissait n i d'ange n i de diable, qui auraient
        
        
          introduit le papier dans le sac. Mais j ' é t a i s
        
        
          curieux de savoir comment le papier s'y
        
        
          était introduit. Profitant de la proximité du
        
        
          sac, je m'efforçais de découvrir ce secret,
        
        
          lorsque j'entendis crier : « Qu'attends-tu
        
        
          pour signer? »
        
        
          — «
        
        
          Efendim », ai-je dit pour gagnerencore
        
        
          un peu de temps, « ce papier n'est pas à
        
        
          moi. »
        
        
          — «
        
        
          Pas de bavardage n i de ma n i è r e s »,
        
        
          cria l'agent. « Signe ou passe à l a porte de
        
        
          la prison ! C'est la liste de tes hommes, révo–
        
        
          lutionnaires dont tu es le chef, et tu ne veux
        
        
          pas r e c o n n a î t r e ton papier? Sacrebleu, vois,
        
        
          tu l'as tellement mis dans ta poche, que le
        
        
          papier a noirci et jauni. »
        
        
          E h bien ! pendant ce t emp s - l à j'avais
        
        
          trouvé le secret, un des côtés du sac avait
        
        
          été décousu et recousu, c'était donc l à une
        
        
          fourberie officielle. J'ai p e n s é que j'allais
        
        
          payer cher si je ne signais pas mais j ' a i dit
        
        
          c a r r éme n t .
        
        
          — «
        
        
          Efendim, vous vous trompez, je ne
        
        
          voulais pas signer parce qu'il n'y avait rien
        
        
          dans ce papier qu i fût à mo i . Voilà ce nu –
        
        
          mé r o 20 et ma signature », et j ' a i signé.
        
        
          J'ai signé quarante-quatre pièces, j u s q u ' à
        
        
          é p u i s eme n t du sac. C'étaient des portraits
        
        
          d'amis, quelques simples lettres et des pa –
        
        
          piers. Ce qu i me tracassait, c'était le nu–
        
        
          mé r o 20.
        
        
          Le chef des agents, ayant mis les qua–
        
        
          rante-quatre pièces dans une grande enve–
        
        
          loppe, et l'ayant cachetée, m'a dit en tour–
        
        
          nant :
        
        
          — «
        
        
          J'envoie demain tout cela ainsi scellé
        
        
          à Palèche, et si, comme vous le disiez, i l n'y
        
        
          a rien, on nous le renverra et nous vous le
        
        
          retournerons », et i l ne put s'empêcher de
        
        
          rire ironiquement.
        
        
          — «
        
        
          T r è s bien, l u i dis-je, et je suis parti
        
        
          en me disant en mo i -même « tu vas voir, toi
        
        
          aussi, mon joli tour officiel que je vais
        
        
          jouer. »
        
        
          C'était le soir. Il fallait que je me ren–
        
        
          disse à Palèche le lendemain avant que mes
        
        
          papiers n'y fussent arrivés. Je ne pouvais pas
        
        
          voyager ce soir-là, l'apparition soudaine du
        
        
          n umé r o 20 m'avait d o n n é sur les nerfs et je
        
        
          me sentais très fatigué. Je pris la résolution
        
        
          d'aller me reposer pour partir de bonne
        
        
          heure le matin. Le lendemain à midi j ' é t a i s
        
        
          à Palèche.
        
        
          J'eus vite fait d'aller voir avec un ami le
        
        
          chef de la police et de l u i raconter le fait.
        
        
          — «
        
        
          Je ne puis rien y faire », me d i t - i l .
        
        
          — «
        
        
          Efendim, l u i r é p o n d i s - j e , vous pou–
        
        
          vez faire beaucoup de choses si vous voulez,
        
        
          et j'ajoutai, vous pouvez être s û r qu ' à mon
        
        
          tour, je r é c omp e n s e r a i votre b o n t é . »
        
        
          Mon dernier mot avait agi sur mon homme
        
        
          avec une influence patriarcale. I l réfléchit
        
        
          un peu et me dit en redressant sa tête :
        
        
          —
        
        
          > Quand i l fera noir, apporte-moi un
        
        
          papier de même s dimensions, portant le
        
        
          môme n umé r o et la signature. »
        
        
          Je le remerciai et je partis tout content.
        
        
          Le soir, le chef de police nie dit qu'il était
        
        
          parvenu, sans être vu par les « hafiôs », à
        
        
          faire d i s p a r a î t r e l'enveloppe des autres
        
        
          paquets de lettres; i l nous donna l'enveloppe
        
        
          fermée : nous l'avons déchirée, nous y avons
        
        
          pris le n umé r o 20, nous avons mis à sa place
        
        
          le nouveau n umé r o 20 et nous avons confié
        
        
          l'enveloppe au chef de police avec 7 livres
        
        
          turques, et nous nous sommes s é p a r é s con–
        
        
          tents de part et d'autre.
        
        
          Deux jours après, l'enveloppe portant le
        
        
          mot de « non dangereux », a é t é r e t o u r n é e à
        
        
          Khlat. Le fourbe s'aperçut, à sa grande sur–
        
        
          prise que son n umé r o 20 avait été enlevé et
        
        
          qu'un autre nouveau n umé r o 20 avait été mis
        
        
          à la place par les mains d'un autre d émo n .
        
        
          Mon fils, c'est là un fait parmi des milliers
        
        
          d'analogues. Je t'écrirai dans ma prochaine
        
        
          lettre, ma deuxième d é n o n c i a t i o n et ma
        
        
          prison.
        
        
          (
        
        
          D'après
        
        
          
            Haïrenik
          
        
        
          de Boston.)
        
        
          Nouvelles d'Orient
        
        
          L E S E T A T S - U M S E T L E S U L T A N .
        
        
          
            —
          
        
        
          On sait
        
        
          que par un singulier privilège, le Sultan
        
        
          peut emp ê c h e r la naturalisation française de
        
        
          ses sujets résidant dans notre pays: un alle–
        
        
          mand, un anglais, un é t r a n g e r quelconque,,
        
        
          moyennant certaines conditions d é t e r m i –
        
        
          nées, peut devenir français; un sujet otto–
        
        
          man ne le peut qu'avec l'assentiment de
        
        
          S. M . I. Abdul-Hamid refusa de r e c o n n a î t r e
        
        
          à plusieurs reprises, les naturalisations amé–
        
        
          ricaines. D'où l'incident r é c e n t qu i a tour–
        
        
          n é d é s a g r é a b l eme n t pour l u i . M . Leishman,
        
        
          r e p r é s e n t a n t des Etats-Unis, avait d ema n d é
        
        
          pour trente-cinq familles a r mé n i e n n e s l a
        
        
          faculté de s'en aller en Amé r i q u e ; depuis
        
        
          plusieurs années, les hommes de ces familles
        
        
          ont é m i g r é ; ils sont devenus citoyens amé –
        
        
          ricains et ils demandent qu'on leur envoie
        
        
          leurs femmes et leurs enfants. L a Porte refu–
        
        
          sait d'admettre ces naturalisations comme
        
        
          valables et de laisser partir les trente-cinq
        
        
          familles avec des passe-ports amé r i c a i n s .
        
        
          Notes, contre-notes, promesses écrites non
        
        
          exécutées. Le ministre des Etats-Unis cessa
        
        
          alors toute relation avec les ministres turcs
        
        
          et le Palais ; -outre ce grief principal, i l avait
        
        
          à se plaindre de ce que les écoles amé r i c a i n e s
        
        
          de Karpout, d é t r u i t e s pendant les massacres,
        
        
          n'eussent pas é t é réédifiées, comme i l était
        
        
          convenu, aux frais du gouvernement otto–
        
        
          man, nonobstant d'innombrables iradés non
        
        
          suivis d'effet; enfin les a u t o r i t é s locales
        
        
          obligeaient, par la menace, les A rmé n i e n s
        
        
          assurés à des compagnies amé r i c a i n e s à la
        
        
          d é n o n c i a t i o n de leur contrat.
        
        
          L'attitude é n e r g i q u e de M . Leishman a eu
        
        
          l'ordinaire succès ; peu de jours a p r è s la rup–
        
        
          ture, la Bête l u i d é p ê c h a son second s e c r é –
        
        
          taire Izzetbey, c h a r g é de l u i transmettre un
        
        
          message amical, de l'assurer qu'il serait
        
        
          satisfait à toutes ces r é c l ama t i o n s et pour le
        
        
          prier de reprendre ses rapports avec la
        
        
          Porte. Ce qu i fut fait ; et par surcroît
        
        
          M . Leishman fut prié de retarder son d é p a r t
        
        
          de Constantinople, en signe de l'amitié re–
        
        
          nouvelée.
        
        
          E N
        
        
          MA C É D O I N E
        
        
          
            . —
          
        
        
          On l i t dans le
        
        
          
            Mouvement Macédonien :
          
        
        
          V I L A Y E T DE SALONTOUE.
        
        
          
            —
          
        
        
          L a situation,
        
        
          dans ce vilayet, ne s'est pas amé l i o r é e et
        
        
          rien ne nous fait croire que l'apaisement se
        
        
          produira bientôt. Les mesures rigoureuses
        
        
          que prend le gouvernement turc ne font
        
        
          q u ' e x a s p é r e r la population c h r é t i e n n e et les
        
        
          bandes révolutionnaires surgissent partout
        
        
          où les soldats passent, jetant le d é s e s p o i r
        
        
          dans les villages. Les tortures qui sont appli–
        
        
          q u é e s dans les prisons et les peines arbi–
        
        
          traires que prononcent les tribunaux ont ap–
        
        
          pris aux Macédoniens à préférer la mort dans
        
        
          le combat au séjour dans les cachots. Nous
        
        
          l'avons toujottr dit et nous ne nous lasserons
        
        
          pas de le répéter, c'eslla persécution qui est
        
        
          la cause de l a révolte actuelle des chrétiens
        
        
          et c'est elle qui provoquera l a révolution en
        
        
          Macédoine. Nous donnons ici quelques lettres
        
        
          du vilayet de Salonique qu i édifieront nos
        
        
          lecteurs sur la situation dans ce vilayet.
        
        
          
            Salonique.
          
        
        
          —
        
        
          U n combat fut livré près du
        
        
          village
        
        
          
            Bougariovo
          
        
        
          entre une bande révolu–
        
        
          tionnaire et un corps de poursuite. L a bande,
        
        
          qui comprenait 10 révolutionnaires, se battit
        
        
          courageusement durant deux heures, au bout
        
        
          desquelles elle se retira dans les montagnes.
        
        
          Deux c h r é t i e n s furent tués, dont les têtes
        
        
          furent envoyées à Salonique pour l'exposi–
        
        
          tion sur une place publique. Les Turcs per–
        
        
          dirent 6 personnes.
        
        
          Ap r è s la bataille, les soldats se r u è r e n t sur
        
        
          le village, pillèrent plusieurs maisons et
        
        
          emp r i s o n n è r e n t 9 villageois qu i sont déjà
        
        
          écrotiés dans les cachots de Salonique. Le
        
        
          p r ê t r e de Bougariovo et le ma î t r e d'école
        
        
          sont activement r e c h e r c h é s .
        
        
          
            Kavadarlzi.
          
        
        
          —
        
        
          Plusieurs bandes de bachi–
        
        
          bozouks organisées par le comité musulman
        
        
          circulent dans notre arrondissement, et sous
        
        
          le p r é t e x t e de poursuivre des révolution–
        
        
          naires p r o c è d e n t à des perquisitions mi n u –
        
        
          tieuses qu i se terminent toujours par des
        
        
          pillages et des viols. A u lieu de poursuivre
        
        
          ces agents que personne n'a autorisé à faire
        
        
          la police et le brigandage à la fois, comme i l
        
        
          est de coutume es Turquie, le gouvernement
        
        
          envoie des soldats avec ordre d'arrêter ceux
        
        
          qui s'opposeront à la tâche des brigands et
        
        
          Fonds A.R.A.M