sont nos dissentiments religieux, po l i –
tiques ou m ê m e sociaux, plus nous
devons nous réjouir, l o r squ ' i l se p r é –
sente un terrain commun sur lequel
nous pouvons tous agir ensemble, au
profit de la juslice et de la l i be r t é . A
pareille action commune, i l y a profit
pour tous, pour la Fr ance , comme
pour la d émo c r a t i e et pour l ' h uma n i t é .
Il ne faut pas que les divisions de
sectes et de partis soient entre nous
des b a r r i è r e s si hautes ou si é p a i s s e s
qu'elles ne permettent pas à des c om–
patriotes de se donner la ma i n . L o i n
de là, l'action commune en vue d'une
œu v r e d é t e rmi n é e est le meilleur moyen
d ' a t t é nu e r l'aigreur des luttes po l i t i –
ques ou sociales et de diminuer les
p r é v e n t i o n s et les p r é j u g é s r é c i p r o –
ques.
Et si pareille action est ma l a i s é e ,
h é l a s ! à l'intérieur, si elle p r ê t e r a i t
parfois à des i n t e r p r é t a t i o n s ou à des
suspicions malveillantes, i l n'en saurait
ê t r e de m ê m e l o r s qu ' i l s'agit des i n t é –
r ê t s de l ' h uma n i t é au dehors, en face
d'une cause aussi manifestement juste
que celle des A rmé n i e n s ou celle de la
Ma c é d o i n e .
E n pareil cas, notre devoir à tous est
de r é u n i r nos efforts pour la défense
des o p p r i mé s que les t r a i t é s ont faits
nos clients.
Il ne faut pas se lasser de le r é p é t e r ,
avec M . Pi e r r e Qu i l l a r d et les promo–
teurs de Co n g r è s de Bruxelles, la
Fr ance et l ' Eu r ope ont, au Co n g r è s de
Be r l i n , c o n t r a c t é solennellement des
devoirs imp é r i e u x envers les A r m é –
niens, comme envers les habitants de
la Ma c é d o i n e . L e t r a i t é de Be r l i n ne
confère pas seulement, aux puissances
qui l'ont s i gn é , le droit d'intervenir en
faveur des o p p r i mé s d ' Armé n i e ou de
Ma c é do i n e , i l leur en impose le devoir.
Ce devoir, l ' Eu r ope l'a a c c e p t é , sur les
supplications des i n t é r e s s é s , et i l ne
l u i est plus permis de s'y soustraire
saus manquer à sa conscience et sans
forfaire à la parole d o n n é e .
P a r l'organe de nos r e p r é s e n t a n t s
a c c r é d i t é s au Co n g r è s de 1878, nous
nous sommes p o r t é s garants de la vie
et de l a s é c u r i t é des A r mé n i e n s et des
c h r é t i e n s de Ma c é d o i n e . Nous l'avons
fait en commun, F r a n ç a i s , Ang l a i s ,
Al l emands , Russes, Italiens, Au s t r o -
Ho n g r o i s ; et parce que nous avons
souscrit un engagement en commun ,
nous n'en sommes pas moins liés par
un engagement. S ' i l ne peut ê t r e rem–
pli qu ' à l'aide d'une action e u r o p é e n n e ,
cela m ê m e est la justification d'une
agitation internationale et de c o n g r è s
comme celui de Rruxelles.
L ' Eu r o p e à Be r l i n — et i c i l ' Eu r ope
n'est pas une vague en t i t é , l ' Eu r ope
signifie toutes les puissances signa–
taires du t r a i t é de 1878,
l ' Eu r ope
s'est c h a r g é e d'une t â c h e qu'elle n'a
pas le droit d'abandonner avant de
l'avoir a c h e v é e ; elle a, en r é a l i t é , as–
s umé l a tutelle des populations a rmé –
niennes et ma c é d o n i e n n e s ; et cette
double tutelle, la Turqu i e e l l e -même
l u i en a reconnu les droits. Ce n'est
pas i c i un simple devoir d ' h uma n i t é ,
comme celui que nous pouvons avoir
envers d'autres o p p r i mé s de l ' un ou
de l'autre h ém i s p h è r e (les o p p r i mé s ,
h é l a s ! ne manquent pas sur notre
globe), c'est, oserais-je dire, un dévoie
en quelque sorte j u r i d i que , attendu
que les puissances e u r o p é e n n e s en ont
sciemment a s s umé les charges et les
ont a c c e p t é e s dans les formes les plus
solennelles. Nous sommes, en un mot,
v i s - à - v i s des populations a rmé n i e n n e s
et ma c é d o n i e n n e s dans la position de
tuteurs qui ne sauraient, sans crime,
trahir les i n t é r ê t s de leurs pupilles.
Au s s i , n'avons-nous pas le droit de
nous lasser ou de nous d é c o u r a g e r . I l
nous faut travailler sans r e l â c h e à r é –
veiller le zèle ou mieux la conscience
endormie des indifférents. E t c'est là
une t â c h e en con f o rmi t é avec le gén i e
comme avec la mission historique de
la Fr ance , si bien que, par une heu–
reuse fortune, tous les F r a n ç a i s y peu–
vent travailler à l'envi, aussi bien ceux
qui aiment à se rattacher à la grande
tradition c h r é t i e n n e du p a s s é que ceux
qui se font honneur de s'inspirer de
l'esprit de la Ré vo l u t i on .
L a France, en face de ces o p p r i mé s
du Levan t , peut ainsi retrouver son
un i t é morale dans une g é n é r e u s e c om–
munion en faveur des victimes de la
tyrannie d ' Y l d i z - K i o s k . C'est là, me
semble-t-il, une raison de plus pour
tous les E u r o p é e n s , sans distinction
de religion ou de parti, de faire cam–
pagne s i mu l t a n éme n t pour une cause
qui peut tous nous r emp l i r d'une éga l e
ardeur. E t c'est aussi, pour nous, un
motif de gratitude et d'affection envers
ces peuples p e r s é c u t é s qu i , au milieu
de toutes nos discordes i n t é r i e u r e s ,
nous offrent une occasion de rappro–
chement en vue de la plus grande et
de la plus sainte des œu v r e s .
Et les réflexions que me s u g g è r e n t
i c i les i n f o r t uné e s populations de l ' A r –
mé n i e ou de la Ma c é d o i n e , p e u t - ê t r e
devrais-je les é t e n d r e à la plupart des
o p p r i mé s , pour ne pas dire à tous les
o p p r i mé s d ' Europe , d ' As i e , d'Afrique
ou du globe entier. Ca r , nos sympa –
thies, à nous F r a n ç a i s , n'ont pas c e s s é
d'aller à toutes les nations souffrantes
ou p e r s é c u t é e s ; et je crois pouvoir
dire que, en dép i t de toutes nos dissi–
dences i n t é r i e u r e s , nous nous retrou–
vons unanimes dans la haine de l'op–
pression. C'est là un sentiment que des
feuilles comme
Y Européen
ont la mi s –
sion d'entretenir pa rmi nous, et c'est
une chose dont i l me sera permis de le
féliciter.
A N A T O L E L E R O Y - R E A U L I E U .
Lettres de Boulanik et de XXX
L E T T R E DE IiOULANIK
72
Mai
igo2.
Le vaste district de Boulanik, e n v i r o n n é
de quelques tribus Kurdes, est soumis jour–
nellement aux p e r s é c u t i o n s , viols, pillages et
crimes sans fin. Il nous est difficile de d é –
crire i c i la série interminable des méfaits
inouis commis en cet endroit: en faisant un
aperçu général sur ce district, nous voulons
faire c o n n a î t r e cet enfer à nos frères A rmé –
niens.
Le principal é l éme n t du district de Boula–
nik est formé principalement par les H am i -
diés Kurdes de Hassnan, qu i sont célèbres
par leurs pillages et leurs luttes continuelles.
Ils sont les plus chers h é r o s du sultan; ils
commettent librement tous les crimes inouïs
et ne sont nullement punis. Les chefs de ces
tribus se sont emp a r é s avec violence de tous
les villages a r mé n i e n s et s'y sont établis. L a
terre et les biens de l'Arménien appartien–
nent à l'agha Kurde, m ê m e son existence et
son honneur.
Le gouvernement n'a pas le droit d'entrer
dans un village dont s'est emp a r é l'agha
Ku r d e ; la dîme, l'impôt sur les moutons, les
autres imp ô t s et les taxes sont p e r ç u s par
l'agha Kurde et à son g r é . C'est ainsi que
tous les villages a r mé n i e n s de Boulanik sont
remplis de ces h ô t e s barbares et leur sont
assujettis. Comme les chefs des tribus sont
«
n perpétuelle lutte, les uns avec les autres,
chacun est obligé d'avoir sous ses ordres des
centaines d'hommes, de leur fournir le vête–
ment, des chevaux, des armes, la nourriture.
Tous ces barbares, qui n'ont aucune idée do
travail habitent les maisons a rmé n i e n n e s .
Aujourd'hui l'Arménien qu i ne p o s s è d e au–
cune autre habitation que sa maison est
Fonds A.R.A.M