L'espionnage turc à Genève
M . E . Secretan, d é p u t é de V a u d e l r é –
dacteur en chef de l a
Gazelle de
Lausanne,
a i n t e r p e l l é le gouvernement fédéral, dans
la s é a n c e du 10 juin d u Conseil national,
s i é g a n t à Berne, sur une série d'agisse–
ments dont le Co n s u l g é n é r a l de Tu r q u i e
à Ge n è v e se serait r é c e mm e n t rendu cou–
pable. V o i c i la partie du p r o c è s - v e r b a l de
la s é a n c e q u i concerne cet incident :
M .
D E C O P P E T
(
Vaud), rapporte sur le d é –
partement politique.
M .
S E C R E T A N
(
Vaud), regrette que le rap–
port de gestion ne parle pas d'une série
d'incidents qui ont surgi à propos du consu–
lat général de Turquie à Genève. L'orateur
ne voit pas la nécessité de ce consulat
général, non plus qu'une légation de Tu r –
quie en Suisse. Depuis 1898, le consulat
de Genève a été l'occasion d'une série de
scandales, de violation du droit des gens,
qu'il est nécessaire de signaler. Depuis 1898,
quatre consuls généraux et deux ministres
se sont succédé. Celui qui a fait le plus de
bruit est le fameux baron de Richthofen, qui
se livre constamment à des actes d'espion–
nage. Le baron de Richthofen constitue un
pouvoir occulte qui agit d'une ma n i è r e tout
à fait incorrecte, même depuis qu'il n'est
plus consul général. M . Secretan fait l'histo–
rique des agissements de M . de Richthofen.
Il donne lecture à l'assemblée de -la corres–
pondance du baron avec Munir bey : la
conduite de Richthofen, son refus de délivrer
le sceau du consulat de Turquie à son suc–
cesseur, tous les actes auxquels i l se livre,
constituent un véritable conte oriental.
L'orateur regrette du reste que le Conseil
fédéral ait accordé l'exequatur à Munir bey
comme r e p r é s e n t a n t d e l à Turquie en Suisse.
Le Conseil fédéral a agi avec beaucoup trop
de complaisance vis-à-vis de M . do Richt–
hofen,
A i'heure qu'il est, Richthofen éme t aussi
la p r é t e n t i o n de surveiller la presse, les jour–
naux jeunes-turcs qui se publient à Genève
et ailleurs, et cette surveillance ne s'étend
pas seulement aux journaux turcs, M . Secre–
tan a reçu la visite d'un agent de la sûreté
vaudoise qui l u i a d ema n d é des renseigne–
ments sur un collaborateur de la
Gazelle de
Lausanne
qui écrivait des articles sur la
Turquie. Inutile de dire que M . Secretan a
absolument refusé ces renseignements et a
prié l'honorable fonctionnaire de prendre la
porte.
M . Secretan reproche au Conseil fédéral'
de faire des différences dans sa ma n i è r e de
traiter les divers pays. Vis-à-vis de l'Italie,
le Conseil fédéral a exposé la marche légale
à suivre pour obtenir la punition d'un jour–
nal anarchiste. Quand la Turquie a porté une
plainte analogue contre
VInlikam,
organe
jeune-turc, qui p a r a î t à Genève, le Conseil
fédéral a expulsé le r é d a c t e u r de ce journal.
Pourquoi cette complaisance à l'égard de la
Turquie? Ce printemps encore, Richthofen
a incité des scènes déplorables dans la jeu–
nesse universitaire de Genève. Il entretient
à Genève un véritable bureau de police. Le
Conseil a déclaré l'année d e r n i è r e à l'Union
ouvrière qu'il expulserait les agents provo–
cateurs aussi bien que les anarchistes. L'ora–
teur estime que cette autorité a une bonne
occasion de mettre sa doctrine en pratique.
Il y a à Genève un personnage qui est tout
ma r q u é et qui est mû r pour l'expulsion. Que
le Conseil fédéral fasse vis-à-vis du baron
de Richthofen ce qu'il a fait dans le temps
vis-à-vis de Wohlgemuth. Qu'il lui montre
qu'on ne se moque pas i mp u n éme n t du gou–
vernement du pays dans lequel on vit.
M .
Z E M P ,
p r é s i d e n t de la Confédération,
r é p o n d à M . Secretan. Lorsque, dit i l , une
puissance é t r a n g è r e veut accréditer un diplo–
mate en Suisse, et, qu'il n'y a pas de motif
p é r emp t o i r e de s'y refuser,
Yexequalur
est
toujours accordé. L'agence diplomatique
qui r e p r é s e n t e la Turquie en Suisse était
accréditée déjà à Paris. Il y a en Suisse un
certain nombre de sujets ottomans qui peu–
vent désirer la protection de leur gouver–
nement. Il faut é g a l eme n t tenir compte du
fait qu'il y a passablement de Suisses en
Turquie. Les puissances étran gères cherchent
à développer leur action é c o n om i q u e en
Turquie ; si- nous refusons à la Turquie une
r e p r é s e n t a t i o n en Suisse, les Suisses établis
en pays ottomans auront certainement à en
souffrir.
Le Conseil fédéral déplore vivement les
incidents du consulat général de Turquie à
Genève, dont M . Secretan a parlé. Le baron
Richthofen a été introduit r é g u l i è r eme n t
comme g é r a n t du consul g é n é r a l de Tu r –
quie à Genève. Il était simple g é r a n t et non
pas consul général, et, en cette qualité, i l
n'avait pas besoin
{
Yexequalur.
Né a nmo i n s ,
M . de Richthofen a signé des pièces en qua–
lité de consul général et a continué de les
signer même lorsque le Conseil fédéral l u i a
fait des observations à ce sujet. Le Conseil
fédéral a l'ait des r e p r é s e n t a t i o n s à Ka r a -
theodori, qui était alors ministre de Turquie
en Suisse. Ces r e p r é s e n t a t i o n s n'ayant pas
eu de résultais, le Conseil fédéral a fait savoir
au gouvernement de Genève, en février 1901,
qu'il ne reconnaissait aucune pièce signée
de Richthofen, soit comme consul général,
soit comme g é r a n t du consulat, et que, s'il
continuait à signer des pièces en cette qua–
lité, le Conseil fédéral l'expulserait.
Depuis le 5 février 1901, le Conseil fédéral
n'a eu connaissance d'aucune pièce officielle
qui aurait été signée par M . de Richthofen.
Il existe actuellement un autre consul g é n é –
ral de Turquie à Genève : Haidar bey,
M . de Richthofen refuse de livrer à Haidar
bey le sceau et les archives du consulat. Le
Conseil fédéral a renvoyé Haidar bey aux
tribunaux, i l ne pouvait pas agir autrement
qu'il l'a fait. 11 a en nième temps informé
M . de Richthofen, par l'intermédiaire du
gouvernement de Genève, que, s'il continuait
à commettre des actes abusifs, i l serait
expulsé. A ce moment, le d é p a r t eme n t de
justice et police a déjà p r o p o s é l'expulsion
de Richlhofen. Mais le Conseil fédéral a pré–
féré la forme plus douce. 11 y a des c o n s i d é –
rations dipiomatiques dans le détail des–
quelles le Conseil fédéral ne peut pas entrer.
Quant aux lettres publiées r é c emme n t par le
journal la
Suisse,
l'orateur fait observer
qu'elles datent de 1900 et de janvier 1901 et
ne constituent pas un fait nouveau qui justi–
fierait actuellement l'expulsion, ou qui devrait
engager le Conseil fédéral à modifier son
arrêté de 1901. Peut-être, si le Conseil fédé–
ral avait connu ces lettres à ce mome n t - l à ,
eût-il été plus loin qu'il n'est allé. Actuel–
lement le Gouvernement de Genève fait une
e n q u ê t e sur les agissements de M . de Richt-
fiofcn. Cette e n q u ê t e n'est pas t e rmi n é e ; i l
convient d'en attendre les conclusions.
M . Secretan s'est plaint de ce qu'un agent
de la s û r e t é vaudoise est venu faire e n q u ê t e
dans ses bureaux.
M . Zemp ne sait pas ce que c'est que cette
e n q u ê t e . Sans doute i l s'agit d'une simple
demande de renseignements du d é p a r t eme n t
de justice et de police ou du procureur
général de la Confédération. Quant au ré–
dacteur de
VInlikam,
A l i Faln'i, i l a été
expulsé à la suite d'articles t r è s violents,
comme collaborateur d'un journal anar–
chiste. 11 avait é g a l eme n t des a n t é c é d e n t s
anarchistes.
Le Conseil fédérât prend ces é v é n eme n t s
très au s é r i e u x ; mais i l se trouve en p r é –
sence de prescriptions constitutionnelles
qu'il ne peut pas violer.
M .
S E C R E T A N
réplique b r i è v eme n t . 11 recon–
naît le droit d'un gouvernement é t r a n g e r à
être représenté en Suisse; mais le gouverne–
ment suisse a le droit é g a l eme n t de refuser
l'exequatur à certains agents diplomatiques.
Le gouvernement belge a refusé l'exequatur
à Munir bey, tandis que le Conseil fédéral
le l u i a accordé. L a présence d'un certain
nombre d'étudiants turcs en Suisse ne néces–
site nullement la présence d'une légation ou
d'un consul général, cpii ne sont pas par
e u x -même s une protection, mais un danger
permanent et un centre de dénonciations
Les Suisses établis en Turquie sont pro–
tégés par la France, l'Allemagne o u ï e s Etats-
Unis. Le gouvernement turc ne peut donc
rien contre eux.
Les seuls intérêts turcs en Suisse sont des
intérêts de police.
Le Conseil fédéral a bien fait d interdire
au baron de Richthofen d'exercer les fonc–
tions de consul général, mais M . Zemp n'a
pas d o n n é lecture de la lettre que Richthofen
a adressée, le 15 janvier 1901, au p r é s i d e n t
de la Confédération, dans laquelle i l se
plaint entre autres des « attaques calom–
nieuses » dont i l a été l'objet aux Chambres
fédérales, et dans laquelle i l r e c o n n a î t qu'il
a u s u r p é pendant un an les fonctions de
consul général sans avoir reçu l'exequatur.
M . de Richthofen se mo q u é des a u t o r i t é s
fédérales.
M . Zemp a dit que depuis février 1901, le
Conseil fédéral n'a rien appris. Mais le Co n –
seil fédéral ne sait donc rien. H ne connaît
pasles r é c e n t s agissements de M . deRichtho-
fen, qui ont mis en émoi tout le monde u n i –
versitaire de Genève. Il ignore les véritables
rapports d'espionnage que M . de Richthofen
adresse de Genève à Constantinople. Le
grand Conseil de Genève s'est r é c emme n t
occupé de ces agissements. Le Conseil d'Etat
Fonds A.R.A.M