Hadji F é h r o , chef de l a t r i b u de Ba l a k
a écrit à tous ses s u b o r d o n n é s qu'ils r e com–
menceront leurs mé f a i t s d è s le p r i n t emp s ;
aussi toute la population a r m é n i e n n e est-
elle dans une grande a n x i é t é et ne sait o ù
donner l a t ê t e . . .
Il y a maintenant plus de 150 prisonniers
politiques, dont 90 sur 100 sont des gens
pauvres et innocents ; on ne l eu r fait s ub i r
a u c un interrogatoire. A cause de l'assassi–
nat de K h a l i l agha de Sassoun, 40 à 50
A r m é n i e n s sont en prison depuis plus d'un
an et d em i ; leur interrogatoire a c o mm e n c é
ces j o u r s - c i ; leur innocence est certaine à
l ' é v i d e n c e , mais comme les pauvres ma l –
heureux n'ont pas d'argent pou r graisser
la patte, i l est t r è s possible qu'ils soient
c o n d a m n é s à mort, et ceux q u i p o s s è d e n t
u n peu d'argent, seront c o n d a m n é s à des
peines l é g è r e s et seront p e u t - ê t r e r emi s en
l i b e r t é ; mais cela, q u a n d ? nous l ' i g n o –
rons.
II
/
cr
Mars,
Moush.
L e consul russe T h o uma n s k i a q u i t t é
nos parages. Le s a t r o c i t é s ont r e c o mm e n c é .
Les Tu r c s en fureur, les soldats, les
Ku r d e s sous l a conduite de leur c omma n –
dant ont s e m é l ' é p o u v a n t e et la r u i ne p a rm i
les habitants du village de No r c h e n , dont
quelques-uns ont é t é t u é s , toutes les ma i –
sons ont é t é p i l l é e s ; ceux q u i tombent dans
leurs mains sont affreusement ma l t r a i t é s ;
ce q u i est encore plus horrible, c'est que
les jeunes filles et les nouvelles m a r i é e s
sont f é r o c eme n t v i o l é e s . E n v i r o n 40 jeunes
filles et de nouvelles ma r i é e s sont violées.
P l u s i e u r s femmes ont a v o r t é ; la terreur
était à u n tel point que tous les habitants
du village sont d i s p e r s é s .
Mentionnons i c i quelques assassinats
c ommi s ; le 27 d é c e mb r e , Bozo, du village
d ' Ar d o n k fut t u é , le soir, chez l u i par une
balle, par les Ku r d e s de Ma r n i k .
Va r t o , à son retour chez l u i , et Os s k a n
Ag o p i a n d u village de Ka r n e , furent t u é s
par les Circassiens et les Ku r d e s ; les bour–
reaux leur coupent les bras et la t ê t e , et
les mettant à n u , les laissent dans l a neige.
Une pauvre a r m é n i e n n e n o mm é e H o v é ,
du village de Pe r t ak , est tellement ma lme –
n é e par les inspecteurs de l a r é g i e qu'elle
meurt deux j ou r s a p r è s . Tou t A r m é n i e n
q u i rencontre u n mu s u l ma n dans u n lieu
isolé est s û r d ' ê t r e t u é et c o u p é en mo r –
ceaux.
E n ce moment les A r m é n i e n s de la plaine
de Mo u s h souffrent affreusement de l a part
des percepteurs et des agents q u i ont ajouté
encore quelque chose à leurs violences
traditionnelles. P a r ce froid g l a c i a l , on
plonge les ma l heu r eux A r m é n i e n s dans de
l'eau froide et les retirant ensuite on leur
donne des coups de b â t o n ; de nomb r eux
villages subissent la m ê m e é p r e u v e ma i n –
tenant.
No u s avons appris avec une t r è s grande
émo t i o n , i l y a deux j ou r s , l'aflreux assas–
sinat d'Almasde, femme de K r i k o r , du
village de Koms e , d e l a plaine. Le s percep–
teurs ayant a r r ê t é cette femme ma l h e u –
reuse, l a trempent avec de l'eau de neige,
la renversent ensuite par "terre et l'ayant
c o u c h é e sur le dos l a battent tellement
qu'elle en meurt. I l serait trop l o n g de
vous d é c r i r e tous les d é t a i l s des a t r o c i t é s
commises... '
L E S
C A H I E R S D E L A Q U I N Z A I N E
S
9
i n a e c l e l a
So:rborLrLe
Publient le 28 Juin,
Mémoires et Documents pour
la Défense des Arméniens.
Par P I E R R E Q U I L L A R D
(
Un volume de MO pages}.
Les artisans & ouvriers arméniens
Dans une curieuse brochure, pub l i é e
à Ge n è v e en 1890,
Arméniens
et Ar-
ménophiles,
par le
V I E U X D E L A M O N T A –
G N E , et où l'apologie du gouvernement
hamidien est mise à la p o r t é e des intel–
ligences les plus faibles, les A rmé n i e n s
sont r e p r é s e n t é s comme des rois de
l'argent, des princes de l a s p é c u l a –
tion. Su r les sommes d é p e n s é e s par
S. M . I . - les quatre c i n q u i ème s se
perdent en route et au profit de qui?
des fonctionnaires a rmé n i e n s ».
Dans ces conditions, n'est-ii pas tout na–
turel, d'une part, que les A r mé n i e n s gavés
de richesses aient p e n s é profiter de la lati–
tude qui leur était laissée pour escalader le
trône, et, d'autre part, que les Musulmans
exploités, r u i n é s , asservis par la puissance
de Sa Majesté l'argent, aient eu la main
lourde le j ou r où ils ont pu se payer sur la
bête de tout ce que la misère les avait con–
traints d'endurer.
L a haine qui divise les Musulmans des
A rmé n i e n s n'a pas d'autre origine que cette
exploitation à outrance qui est similaire de
celle des Juifs en France, en Angleterre, en
Pologne, en Autriche-Hongrie. L a question
reiigieuse n'y est pour rien ; la lutte s'ap–
pelle a n t i s émi t i sme en Europe, elle s'ap–
pelle question a r mé n i e n n e en Turquie. A u
fond, c'est absolument la m ê m e chose,
the
slruggle for life,
entre l'omnipotence de la
plutocratie sans vergogne, sans scrupule et
sans cœur, et les revendications des popu–
lations intelligentes, travailleuses, géné–
reuses, patriotes qui, sortant de la légalité
pour rentrer dans le droit, veulent repren–
dre par la force, et d'un seul coup, tout ce
dont l'astuce, la ruse, la mauvaise foi ap–
p u y é e s sur la légalité ont mis des a n n é e s à
les dépouiller.
Ceux des E u r o p é e n s qui ne connais–
sent le peuple a rmé n i e n que par les
A rmé n i e n s des villes seraient trop aisé–
ment p o r t é s à tenir pour exact le por–
trait t r a c é ci-dessus. M . Lu d o v i c de
Gontenson a fait i c i -même justice de
leur erreur. De ce que la plupart des
sarafs
(
changeurs) sont a r mé n i e n s ,
on conclut vite que tous les A r m é –
niens sont des sarafs; quant à l ' h o n n ê –
t e t é des i n t e rmé d i a i r e s de bazar, qu'ils
soient Grecs, A rmé n i e n s , Juifs ou L e –
vantins catholiques, elle est en effet
douteuse; mais c'est une s i ngu l i è r e
mé t h o d e que de juger tout un peuple
sur quelques individus qui ont des d é –
fauts i n h é r e n t s à leur profession et non
point des dé f au t s particuliers à leur
race.
Même dans les villes, les A r mé n i e n s
ressemblent p l u t ô t encore aujourd'hui
à l'image qu'en t r a ç a i t Guy s dans ses
Lettres
sur la Grèce
à l a fin du
x vm
e
siècle :
Ils forment la nation la plus nombreuse,
la plus riche, la plus sage : gens laborieux,
infatigables, robustes, vivant de peu et du –
rement, ils exercent tous les mé t i e r s p é n i –
bles. Ac c o u t umé s à vivre dans l'intérieur des
provinces, ils aiment les chevaux et les con–
naissent parfaitement ; ils composent pres–
que toutes les caravanes et font la plus
grande partie du commerce de la Perse et
des Indes.
Le s sarafs ne forment qu'une t r è s
faible mi n o r i t é dans la nation ; les gens
de mé t i e r sont de beaucoup les plus
nombreux. Le s
harnais
(
portefaix) de
Constantinople, sont presque tous A r –
mé n i e n s , ainsi que la plupart des bou–
langers ; pendant les massacres de 1896,
la ville manqua de pain durant trois
jours, les boulangers a r mé n i e n s é t a n t
t u é s ou se tenant c a c h é s . L e s tailleurs,
les menuisiers, les cordonniers, les or–
fèvres, les forgerons, se recrutent en
grande partie parmi les A r mé n i e n s .
Il en est de m ê m e à Smy r ne : si dans
le haut commerce, la banque et le
barreau i l se trouve beaucoup d ' A rmé –
niens t r è s riches,les terrassiers, porte–
faix, tailleurs, bouchers, etc., sont
aussi des A r mé n i e n s .
Enco r e ces A rmé n i e n s des
villes
littorales ne peuvent-ils pas ê t r e tenus
comme les v é r i t a b l e s et les plus nom–
breux r e p r é s e n t a n t s de la race ; c'est
Fonds A.R.A.M